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André Chiang «transmettre un message à travers notre cuisine»

Sa cuisine est nomade et infiniment poétique, mêlant produits du Sud et racines asiatiques. Rencontre avec le chef André Chiang qui vient de publier un livre détaillant sa philosophie

Né à Taïwan, André Chiang s’est notamment formé chez les frères Pourcel, Pierre Gagnaire et Pascal Barbot.

HGH: «Octaphilosophie/Les huit éléments du Restaurant André»: votre livre rassemble 150 recettes phares et explore votre approche de la cuisine basée sur huit éléments-clés, tels que pur, texture, mémoire, sud, artisan, etc. Pourquoi huit éléments, et pas trois ou cinq? Comment est née cette philosophie?
André Chiang: Avant d’ouvrir mon propre lieu, j’ai fréquenté de grandes maisons et j’ai beaucoup réfléchi au processus de création. Je voulais aller à l’essentiel. Le processus de création ne se limite pas à l’instinct ou au travail, je pense qu’une logique y préside. Quelle est ma cuisine? Sa quintessence? Je voulais une explication, une logique, une signature. Avant d’ouvrir André, j’ai repris les plats créés durant vingt ans et j’ai constaté que ces huit éléments revenaient et se répétaient, que c’était une clé.

Chez André, il n’y a pas de carte: quand vous entrez en cuisine le matin, vous ne savez pas ce que vous allez faire. Les huit plats du menu sont dictés par ces fameux mots-clés: comment les concevez-vous?
Travailler à Singapour est très particulier. Il n’y a pratiquement aucun produit local, tout est importé. Comment s’adapter à cette situation? Comment faire des menus avec des saisons quand c’est l’été toute l’année et qu’il fait toujours la même température? J’ai dû changer ma façon de travailler pour m’adapter. Nous avons notre propre jardin à Taiwan, sinon les légumes et les viandes sont importés d’Europe, de France pour la plupart. Chaque jour, je commande 6 à 8 kilos de poisson et fruits de mer à mes fournisseurs au Japon: nos pêcheurs choisissent le plus frais, le meilleur de leur production, et nous le font livrer. Donc quand j’arrive le matin, on ouvre les boîtes et on s’adapte aux arrivages. On peut parler de carte blanche: sur le menu figurent uniquement nos huit concepts, autour desquels s’articulent sept ou huit plats, jamais selon la même séquence. La notion de pureté peut ainsi se référer au premier ou au dernier des plats.

On a comparé un repas chez vous à un défilé haute couture.
Nous essayons de transmettre un message à travers notre cuisine, pas seulement de faire des plats beaux et bons, mais aussi d’explorer les voies de la création. La Pureté peut ainsi s’incarner dans un plat sans cuisson ni assaisonnement, qui présente la quintessence d’un produit, d’un travail artisanal, la perfection d’un poisson. Et nous sommes aussi davantage orientés vers la poésie, la technique, que vers la nature.

Pour avoir passé 15 ans en France, quelle part de votre cuisine est-elle française? Et quelle part de votre identité culinaire serait-elle asiatique?
Je suis né à Taïwan, où j’ai passé mes treize premières années, puis nous sommes partis au Japon où ma mère tenait un restaurant chinois. De là, je suis parti en France à l’âge de 15 ans, dans l’idée de me former et de passer quelques années à l’étranger puis de revenir un jour reprendre son restaurant. Mais mon arrivée en France m’a ouvert les yeux et fait voir les choses différemment: je suis tombé amoureux de la culture et de l’histoire françaises. J’adorais l’idée que chaque plat et chaque technique aient un nom et une histoire, c’était un peu comme d’être au cinéma. La cuisine chinoise, en revanche, c’est de la technique et encore de la technique, il faut suivre les saisons, aller voir les producteurs, sans la dimension émotionnelle que j’ai découverte en France. Cette part laissée à l’imaginaire, à la créativité, m’a séduit tout de suite.

Votre goût pour assembler des éléments a priori incompatibles fait songer à Pascal Barbot: la surprise est un élément important?
La surprise est importante, tout comme l’humeur du moment. Nous souhaitons que les clients passent un bon moment chez nous, mais il faut aussi que nous autres cuisiniers y prenions du plaisir. Je dois être content de ce que j’ai réalisé pendant trois ou quatre heures, d’où l’envie d’être très spontané, la surprise, voire l’humour.

Pourquoi vous être fixé à Singapour, ce melting-pot absolu qui ne connaît pas de saisons? C’était un défi supplémentaire, non?
C’est en partie dû au hasard: en 2003, le groupe Raffles m’avait invité pour y proposer une série de repas. J’ai vu les possibilités qu’offrait ce marché considérable, très cosmopolite, et je me suis dit que ma cuisine pourrait plaire là-bas.

Vous connaissez là-dessus un succès extrêmement rapide?

Je suis quelqu’un de simple, je ne me déplace pas pour faire des shows, mais je sais ce que je veux: je rêve d’avoir trois étoiles et j’essaie d’atteindre cet objectif. *

Votre mère, qui tenait un restaurant au Japon, vous écrit une jolie lettre, publiée dans le livre. Que vous a-t-elle appris avant votre départ pour l’Europe?
Beaucoup, beaucoup de discipline… Il était un temps question que je reprenne l’établissement familial, mais elle n’a jamais voulu changer quoi que ce soit à son restaurant.

Vous êtes désormais à la tête de cinq restaurants sur deux continents: comment êtes-vous organisé pour superviser ces différentes entités?
Dans ma carrière, je n’ai jamais imaginé bâtir un empire. Je suis cuisinier et pas entrepreneur. C’est plutôt lié au fait d’avoir rencontré de jeunes chefs très talentueux et motivés, et de vouloir leur donner leur chance. La nouvelle génération – un peu comme moi quand je débutais dans ce métier – a besoin de soutien et je me dis qu’il serait dommage de les garder à mes côtés s’ils sont prêts à se lancer.

Comment naissent par exemple les cartes de votre restaurant parisien Porte 12?
A Paris, c’est un peu particulier. Vincent travaille avec moi depuis près de 20 ans et il a été mon second à Singapour, il a des bases très fortes. Je lui laisse beaucoup de liberté et de marge de manœuvre. On pourrait dire que le concept, l’atmosphère, l’idée de fraîcheur, de simplicité et les prix qui vont avec sont de moi, tandis que la cuisine est celle de Vincent. Le livre reprend ce travail d’un an: les 180 plats créés en 365 jours, un travail et une recherche incroyables.

Quelle importance accordez-vous aux guides et aux classements?
Nous sommes complets trois à quatre mois à l’avance. Le fait de voir débarquer des clients du Mexique ou de New York dans un minuscule établissement de Chinatown est extraordinaire et je le dois au classement des World’s 50 Best Restaurants. Nous attendons aussi avec beaucoup d’impatience la sortie du premier Guide Michelin consacré à Singapour. *


Propos recueillis par Véronique Zbinden



«Octaphilosophie/Les huit éléments du Restaurant André», Editions Phaidon, 304 pages. André Chiang. Avant-propos de Jacques et Laurent Pourcel, préambule de Pascal Barbot.