Ateliers, visites guidées, vente de produits frais ou transformés, pop-up: le domaine de Borex (VD) s’ouvre au public. Et se mue en conservatoire variétal unique en Europe.
C’est un gin terriblement gourmand, qui surprend d’emblée par sa couleur bleue mais aussi par ses arômes fruités, le mariage de la framboise et du yuzu, l’âpreté légère du genièvre. Plus étonnant encore, pour peu qu’on y ajoute une tombée de tonic, le gin passe du bleu au rose… Une facétie bien à l’image de son créateur Niels Rodin, le fameux agrumiculteur de Borex. Bonne nouvelle, son gin fleur bleue – mais aussi la liqueur de yuzu, l’élixir de mandarine, le vermouth ou la pommoise, pétillante cousine du cidre mariant pomme et mandarine – sont désormais proposés à la vente directe à la ferme aux agrumes.
L’entrée du site, côté route d’Arnex, a été dotée d’un espace boutique, équipée d’une cuisine professionnelle, où seront désormais accueillis les amateurs d’agrumes, privés ou professionnels, venus faire leurs emplettes, et où se tiendront ateliers, dégustations et autres repas thématiques. En plus des alcools maisons et autres conserves, on y trouvera les produits frais du moment: des yuzus, mais aussi des satsuma, ces savoureuses mandarines japonaises, des citrons caviar ou faustrime, et bientôt des mains de bouddhas et autres cédrats, en attendant les tangor (hybride d’orange et de mandarine), kyomi et autre dekopon.
Le micro-domaine de Borex (1,5 ha environ) abrite en effet quelque 200 variétés d’agrumes et autant d’autres essences rares, originales ou menacées, le tout en mode bio. En plus des agrumes récoltés sur place, en quantités confidentielles, on proposera les fruits labellisés issus de quatre domaines partenaires bios, en Sicile et dans le Lubéron. La diversité variétale n’en finit pas de s’étoffer au gré des coups de cœur du passionné Niels. Parmi les derniers arrivés, on citera la citronnelle et le curcuma, alors que le gingembre est présent depuis plusieurs années; des kakis rouges ou noirs, d’origine coréenne, japonaise ou russe. Mais encore? Des grenadiers d’Azerbaïdjan prometteurs, car ils supportent bien les gelées, des avocats mexicains et même, quoique plus fragiles sous nos latitudes, des bananiers chinois… D’autres étrangetés fascinantes encore, telle cette obtention suisse des années 1980 nommée cherrykose: un hybride délicieux de cerise et d’abricot que sa peau trop fine a fait recaler à la commercialisation.
«Le modèle économique était à réinventer», explique Niels Rodin, qui s’est allié l’expertise de la start-up Green Market, à l’Agropole de Molondin, vouée à l’alimentation durable. «Les surfaces et la diversité variétale ne permettant pas d’être rentables, la ferme des agrumes se positionne dès lors en Conservatoire et centre de recherche et développement unique en Europe.» A terme, son savoir-faire et ses compétences vont servir à promouvoir de nouvelles cultures en Suisse et au-delà. On songe au yuzu, qui s’est idéalement acclimaté, mais aussi aux 200 autres fruitiers locaux, originaux, anciens et du monde entier qu’abrite le domaine, un patrimoine unique en Europe. Au terme d’une phase de recherche et de tests en pleine terre, certains seront cultivés à une plus grande échelle. De nombreuses parcelles sont dévolues aux essais, sans oublier la nurserie accueillant les «bébés» fraîchement greffés et autres jeunes pousses fragiles en attente de transplantation.
Pour rappel, Niels Rodin, lointain cousin du sculpteur, né à Lausanne, parfaitement polyglotte et cosmopolite, a commencé par travailler dans l’industrie textile et la mode, au Tessin, avant de virer dans la gestion de patrimoine et la banque, puis de se reconvertir, la quarantaine et l’ennui venus, suite à un sévère coup de foudre pour un citronnier. «Les agrumes englobent mes trois passions originelles», explique le banquier reconverti et épanoui. «La culture et ses techniques; l’histoire (la saga des agrumes raconte une bonne part de l’histoire de l’humanité); enfin, la gourmandise, qui est aussi une histoire de curiosité et de partage.»
(Véronique Zbinden)