Ainsi l’ont décidé 400 amateurs, qui, sous l’égide de Lausanne à Table, ont dégusté et comparé les créations d’une dizaine d’artisans glaciers lausannois.
Elle est née presque par hasard, comme souvent les meilleures recettes, cette idée d’associer le zeste de citrons siciliens à une base fior di latte. Malou Zryd, l’artisane à l’origine de Labo Gelateria, avait reçu une montagne d’agrumes pour honorer la commande de fruits givrés d’un restaurateur de la place; après coup, il lui restait beaucoup de zestes, qu’elle a décidé de confire pour les convertir en crème glacée. Le parfum a séduit le public à l’issue du Parcours des Glaciers, mis sur pied par l’Association Lausanne à Table: durant tout l’été, quelque 400 Lausannois ont dégusté et comparé les parfums mis en avant par une dizaine d’artisans, avant de voter. Malou Zryd décroche ainsi la glace d’Or, suivie par Bongusto Italiano pour sa pistache et Gea Gelateria Artigianale pour son basilic.
Dans son atelier lumineux d’Ecublens, qu’elle occupe depuis 2017 – après s’être formée auprès de Luigi Pedrazzi, à l’origine des mythiques Glaces 1900, s’être perfectionnée en Italie et avoir créé sa première gelateria Loom –, ça tourne et ça brasse de partout. Ça fleure bon, surtout, les agrumes confits, les derniers melons de la saison et les premiers fruits de la passion, en attente de transformation. «Je privilégie évidemment le local et le bio chaque fois que c’est possible, mais le goût reste le premier critère», note Malou, silhouette menue et énergique coiffée d’un bandeau. «Les parfums suivent les saisons, mais on peut en compter une quarantaine dans la gamme, même si les amateurs reviennent volontiers aux classiques: chocolat, stracciatella, vanille bourbon ou pistache sicilienne.»
Malou Zryd, glacière
Ces jours, la palette passe notamment du rose vif spectaculaire de la figue de barbarie, fraîchement arrivée de Sicile, aux tons plus pastels de la papaye ou de la bergamote, du gingembre, de la cerise ou du citron vert, voire de la cacahuète. Sans oublier les parfums qui ont contribué à faire connaître le talent créatif de Malou, à l’époque de Loom, entre 2012 et 2015, soit le sésame noir, étonnant, ou l’exquis azuki.
Un des secrets de la glacière tient à la légèreté de la masse: aucun ajout de crème dans la base fior di latte. «Un détail qui prend toute son importance avec des ingrédients tels le sésame ou la pistache, saturés de matière grasse. J’ai tout appris de Luigi», raconte Malou, qui s’est formée à l’époque où commençait à peine la grande vogue de l’artisanat glacier dans les villes suisses. La gelataia a des origines coréennes mais son destin se noue d’abord en Valais, où elle est adoptée par une famille italienne. Sa première vie passe par l’enseignement des travaux manuels et la création textile, une voie qu’elle continue d’explorer en parallèle et qui l’a amenée à exposer dans les plus prestigieuses manifesta-tions, de Madrid à la Biennale de Shenzen. Là-dessus, pas vraiment épanouie dans l’enseignement, mue par une quête de sens, une envie de reconversion, le hasard lui fait croiser Luigi Pedrazzi.
Pour avoir passé une grande part de son enfance dans la région de Parme, Malou est profondément imprégnée de la culture et de l’art de vivre italiens. «C’est sans doute ce qui a incité Luigi à accepter de me former dans son labo de la Borde, lui qui n’avait jamais voulu prendre d’apprentis.» La jeune femme rêve alors de changer de vie, insatisfaite dans son premier job de prof. «J’ai tout appris de Luigi, les bases du métier de gelataio, les techniques et ses recettes classiques.»
Mais aussi, surtout, Malou découvre que la glace est un voyage, un art multiple, dont il existe autant de traditions que de cultures. Une des premières recettes qu’elle crée, sa fameuse glace au sésame noir, lui est ainsi inspirée par les récits de sa sœur, qui vit à Singapour. De même, le safran, l’eau de rose et la pistache évoquent l’Iran, la granita les petits déjeuners en Sicile, alors que le kulfi vous transporte instantanément en Inde et le kakigori au Japon.
Mais le dernier coup de foudre gourmand de Malou se situe plutôt entre Turquie, Syrie et Liban – où elle rêve d’aller déguster en vrai le dondurma et la bouza, comme on nomme, selon les régions, ces étonnantes glaces à la texture élastique, rehaussées de mastic (la résine de lentisque de Chios) et de salep (la poudre issue d’une racine d’orchidée.) C’est d’ailleurs son nouveau projet: inviter à une escale gourmande dans un Proche-Orient rêvé et apaisé. Après le charme nostalgique du kiosque de Chailly et le triporteur du marché de Cully – où déguster citron confit et figue de barbarie, azuki, gingembre ou sésame noir –, le Flon devrait bientôt offrir aux Lausannois une nouvelle promesse d’évasion, quelque part entre Beyrouth et Lattaquié, grâce à la plus nomade et poétique des glacières.
(Véronique Zbinden)