A Paris, les World Chocolate Masters ont couronné l’Espagnol Lluc Crusellas. Pas de chance pour le candidat helvéto-catalan Abraham Balaguer, qui n’a pas su rééditer l’exploit d’Elias Läderach.
La pièce artistique – ici renommée Wow – est l’épreuve reine du concours. La première et la plus spectaculaire, trônant dès l’entrée dans de hautes niches spécialement aménagées. Une œuvre tridimensionnelle nécessitant des heures d’expérimentation, de réflexion et de travail préalables.
Ces derniers jours d’octobre au Salon parisien du Chocolat voisinaient ainsi un éléphant plus vrai que nature, une danseuse pleine de grâce, un dormeur perdu dans ses rêves pastels, une cabosse géante révélant une abondance de fruits aux couleurs explosives, un poisson effrayant dans ses abysses, un paysage alpin paisible évoquant les découpages traditionnels du Pays-d’Enhaut. L’épreuve n’a malheureusement pas été «ouah» pour Abraham Balaguer. Entre stress, mauvaise organisation et manque de communication, le finaliste suisse s’est pris les pieds dans le timing et n’a pas pu terminer son décor de montagnes, de vaches et de sapins, sans doute le plus conceptuel et bidimensionnel de tous.
Une mauvaise note que le talentueux artisan de Saint-Prex – passé notamment par les triple-étoilés espagnols El Bullì et El Celler de Can Roca – n’est pas parvenu à compenser lors des épreuves suivantes. Les World Chocolate Masters 2022 couronnent ainsi l’Espagnol Lluc Crusellas (créateur entre autres de l’extraordinaire éléphant dans sa savane), devant le Français Antoine Carréric et le Grec Nicolas Nikolakopoulos. Précédent lauréat sur cette même scène parisienne en 2018, le Suisse Elias Läderach a remis le trophée au vainqueur de l’édition 2022.
Les autres épreuves du plus prestigieux des concours chocolatiers consistent notamment à élaborer un gâteau, une série de bonbons et à réaliser un projet à l’aide d’une imprimante 3D. On espérait pour Abraham le prix dans la catégorie des bonbons. Son «noisetier» associant ganache noisette, croustillant noisette-chocolat, gelée d’agrumes et laquage caramel dans une coque croquante en forme de noisette – «un des meilleurs», selon le président du jury Amaury Guichon, qualifié de «parfait» par plusieurs MOF – n’y aura hélas pas suffi.
Ces dernières années, la visibilité de la Suisse semble inversement proportionnelle à l’explosion des concours de pâtisserie et des émissions dédiées. Quelle est sa place dans le domaine qui fit sa renommée? Au 19e siècle, les pionniers helvétiques ont tout inventé en termes de techniques: la broyeuse et le procédé du conchage, le chocolat au lait et le praliné. Et aujourd’hui?
Le niveau des World Chocolate Masters, organisé tous les trois ans (hors pandémie) par le groupe Barry Callebaut, est exceptionnellement élevé. La concurrence est de plus en plus intense, de l’avis des experts, les nations asiatiques émergeant parmi les meilleures; la prestation des concurrents japonais et coréen a notamment été remarquable à Paris. Surtout, en termes de techniques, d’innovation et de virtuosité, la France et l’Espagne jouissent d’une aura incroyable. Pour Samuel Müller, maître chocolatier passé notamment par les adresses étoilées du Restaurant de l’Hôtel de Ville de Crissier et la Maison Wenger, au Noirmont, la Suisse a désormais «des années de retard à rattraper dans l’univers du chocolat». Seul Suisse au sein du club des Sucrés, il estime avoir «beaucoup plus appris auprès des collègues français que de nombreux formateurs suisses».
Pour Elias Läderach, citant la médaille d’or récente de Juliana Thöny aux World Skills, la formation n’est pas en cause et le modèle de l’apprentissage reste excellent. «Mais nous oublions souvent de regarder hors des frontières: les jeunes doivent s’informer, voyager, se perfectionner à l’étranger.»
(Véronique Zbinden)