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Le bonheur de transmettre

Au cours de son presque demi-siècle de carrière, Jérôme Boulès a pris soin de partager avec la relève tout ce que son maître d’apprentissage toulousain lui avait enseigné. Aujourd’hui à la retraite, il continue.

Sportif à ses heures, Jérôme Boulès pratique le vélo, la natation et le nordic walking; il a surtout déjà acheté ses billets pour une partie des matches de la prochaine Coupe du monde de rugby qui se tiendra en France l’an prochain. (PCL)

Un samedi matin comme les autres? Non. Dans les cuisines de l’Apicius, au Bouveret (VS), Jérôme Boulès est comme un général en campagne. De sa carrure imposante, il supervise l’entrée en piste des finalistes du concours Jeunes Talents Escoffier. Dans trois heures et demie, tout sera terminé et ce sera le moment pour celui qui abore fièrement son écharpe rouge d’aller saluer les amis et collègues. Mais sans doute ne lèvera-t-il pas pour autant le pied, lui qui, malgré son départ à la retraite en 2021 à l’âge de 62 ans, après 47 ans de service, continue d’être actif dans la branche, notamment auprès de la relève et de différentes associations, dont les Disciples d’Escoffier et la Société suisse des cuisiniers, ainsi qu’en qualité de vice-président de l’Amicale vaudoise des cuisiniers et de membre du comité du Concours vaudois des apprentis cuisiniers. «Ma passion vient de l’envie que j’ai toujours eue de rendre ce qu’on m’avait donné», dit-il simplement.   

«Ma passion vient de l’envie de rendre ce qu’on m’a donné»

Jérôme Boulès, chef de cuisine

Liberté et grande confiance

Son parcours, on l’a découvert quelques jours plus tôt en feuilletant, à son domicile chablaisien, les classeurs dans lesquels il conserve ses archives. Le point de départ? Son apprentissage en 1975 dans une auberge de campagne de la région toulousaine, d’où il est originaire. «On y apprêtait les produits de saison, et on cuisait dans l’étuve – aujourd’hui on dirait à basse température –, preuve que la cuisine contemporaine n’a rien inventé.» Ce qu’il retient de cette époque? Tout d’abord, le fait d’avoir effectué sa formation initiale en deux ans, au lieu de trois, dans le cadre d’un projet pilote plus tard abandonné; ensuite, la liberté et la grande confiance que lui accordait son patron. L’évocation de ce fan de rugby, qui partait au match en le laissant seul au piano à charbon, fait remonter des émotions et beaucoup de souvenirs. «Il m’a tout appris: le savoir-faire et le savoir-être», résume sobrement le chef cuisinier avec brevet fédéral.

La suite, c’est le service militaire effectué à Fribourg-en-Brisgau, en Allemagne. On imagine une tambouille militaire servie à la louche; il raconte comment les dix cuisiniers et quatre pâtissiers confectionnaient les 1000 repas par service avec des produits livrés directement par les producteurs du coin. On se dit alors que le rythme devait être soutenu et chaque congé bienvenu. Même pas: «A Noël et Nouvel An, nous allions donner un coup de main au Grand Hôtel de la ville!» 

Départ pour la Suisse

Une force de la nature, donc. Ou plutôt un cuisinier passionné par son métier, qu’il pratique à l’hôtel Concorde à Toulouse dès la fin de son armée, avant de faire un extra dans un hôtel de Perpignan où il dresse des buffets froids gigantesques avec un chef fraîchement débarqué d’un paquebot.

Dans les étapes qui comptent, il y a aussi le départ en Suisse, pour Montreux, où il intègre l’hôtel National en qualité de commis à l’âge de 22 ans, avant d’être nommé chef de partie trois mois plus tard, sous-chef la saison suivante et chef au bout de trois ans. D’emblée, il se sent à sa place, «presque en vacances», alors qu’il travaille dur avec cinq apprentis et six cuisiniers. Quand l’hôtel ferme, il part au Montreux Palace, où il vit l’époque folle de la Rose d’Or, quand plusieurs centaines de festivaliers débarquaient chaque heure à la gare, près de laquelle étaient dressés des buffets. Sans parler même du Montreux Jazz Festival, alors en plein essor. 

Place à l’enseignement

Après un passage en Valais, il est quatre ans durant le second de Gérard Rabaey. C’est le moment clé où Le Pont de Brent décroche la note de 19/20 au Gault & Millau. «On bossait comme des fous, Gérard le premier, lui qui était toujours là, exemplaire et régulier, ce qui est le plus dur», explique-t-il en disant toute l’admiration qu’il a pour le chef trois-étoiles.

L’arrivée de ses enfants l’encourage à se tourner vers la restauration de collectivité; il participe au lancement d’un centre de séminaires géré par Coop à Jongny, près de Chardonne. «La cuisine était neuve mais on a créé tout le reste. Quand je me suis transformé en “cuisinier-ciseau”, contraint d’ouvrir des sachets parce nous n’avions plus les moyens de tout faire, j’ai choisi de changer de voie.» Débutent alors ses 24 années au Centre d’orientation et de formation professionnelles (COFOP) en qualité d’enseignant, qui ont filé «comme une ­fusée». Dans ses archives, beaucoup de lettres d’anciens élèves qui lui témoignent leur reconnaissance. «Huit sur dix sont restés dans le métier, beaucoup ont fait des concours. C’est ma plus grande fierté.»

(Patrick Claudet)


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