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Un peu de douceur dans un monde brut

Heddi Nieuwsma ­revisite le patrimoine culinaire helvétique, versant pâtissier, du flon saviésan aux ­Schoggiwegli bâlois.

  • La Neuchâteloise d’adoption est émerveillée par la diversité qu’offre la Suisse. (Images DR)


  • L’autrice a quelque peu adapté cette recette de crème caramel (ou crème brûlée)pour évoquer le butterscotch pudding de son enfance.
  • La tarte aux pruneaux, à quelques variantes près, est une des rares recettes appréciées dans toutes les régions.

Derrière chaque recette, un récit, un voyage. Quelque 230 pages pour une balade en terre inconnue, une invitation à (re)découvrir son propre pays dans ses aspects les plus improbables, voire exotiques. J’ai bien dit exotique car au fond, à part de rares initiés, qui a déjà entendu parler du Heiperchochchüechu, de la Fideriser Torte ou du Cholermues? Mon premier est un flan rustique aux myrtilles, haut-valaisan et donc parfaitement imprononçable pour un non-natif; mon second une variante grisonne de la tourte de Linz, double épaisseur de biscuit noisette renfermant une fine couche de confiture de framboise, originaire d’un village minuscule perché à 900 mètres d’altitude; et mon troisième est un pancake obwaldien, servi traditionnellement avec une compote de fruits – et évoqué dans la sitcom The Big Bang Theory … Enfin mon tout consiste en 45 recettes «faciles et irrésistibles» recensées dans le second ouvrage de Heddi Nieuwsma, Douceurs suisses. La plupart sont simples, voire rustiques, mais certaines demandent tout de même un petit talent pâtissier et plusieurs heures de boulot – surtout si comme Heddi, vous faites votre propre pâte feuilletée.

Incontournable tarte aux pruneaux

La tourte de Soleure notamment – manière de layer cake festif alternant biscuit noisette, meringues noisette, crème au beurre légère – qu’elle revisite en modèle réduit. Le plus étonnant tient sans doute à la diversité des recettes, à leur singularité toute confédérale: une des rares douceurs présentes sur tout le territoire est la tarte aux pruneaux traditionnelle du Jeûne.

«Le blog a été un bon moyen de dénicher et partager des informations sur l’alimentation suisse»

Heddi Nieuwsma, autrice

Pour le reste, on (re)découvre avec bonheur la salée ormonanche, la pitta grisonne, les ciambelle tessinoise (rien à voir avec la version italienne) ou le pan dei morti de la Toussaint, la Drusenzelte glaronnaise ou encore le sorbet au damasson made in Porrentruy … Mais aussi la contribution de cinq de nos meilleurs chefs, issus des différentes régions linguistiques avec leurs desserts fétiches: le ­gâteau aux carottes végane de Zineb Hattab, la tarte à la raisinée de ­Romano Hasenauer, la torta di pane d’Arturo Sartore, etc. Il fallait sans doute un œil extérieur, neuf et curieux pour se livrer à une telle exploration. Etonnante Heddi Nieuwsma! La blogueuse américaine, Neuchâteloise d’adoption, s’est prise de passion pour nos douceurs helvètes – pains, pâtes levées, viennoiseries, tartes, biscuits et autres desserts. Un territoire jusqu’ici peu exploré dans sa diversité confédérale et guère réputé pour son raffinement.

Une scène gastronomique nouvelle

Silhouette longiligne et énergique de coureuse de fond – elle a couru ce printemps à Zurich son huitième semi-marathon – elle arrive de Boston en 2012 avec sa famille, ne parlant pas un mot de français. La jeune femme raconte avoir découvert à la faveur de son installation en Suisse «une scène gastronomique totalement nouvelle, des produits inédits ou originaux, tels le carvi, le sucre parfumé au santal ou l’absinthe». Dans la cuisine de l’appartement familial du centre-ville neuchâtelois, où s’attardent des parfums de pain d’épices, Heddi se livre à l’heure du café, entre la pitta grisonne et le pan dei morti tessinois qu’elle a tenu à nous faire déguster …

Le Minnesota est cinq fois plus grand que la Suisse mais question cuisine, rien n’est à comparer: «J’ai grandi avec les puddings en sachets, sans véritable culture culinaire», raconte cette universitaire, qui a travaillé plusieurs années dans l’administration fédérale américaine, séjournant aussi au Japon, où elle a ­enseigné l’anglais.

Le plat typique du Minnesota se nomme hotdish, explique Heddi dans son joli français teinté d’humour et d’accent anglo-saxon. «C’est un gratin crémeux assez ­improbable associant viande, soupe de champignons en boîte et légumes en boîtes; les autres ingrédients variant selon le lieu mais si vous êtes confronté un jour à un plat qui ne ressemble à rien de connu, entre Minnesota et Nord Dakota, c’est probablement du hotdish».

Heddi découvre ici le mouvement Slow Food, son combat pour la biodiversité et les produits traditionnels, sonde les mystères du patrimoine culinaire helvétique, explore ce micro-territoire dans ses méandres et ses recoins, émerveillée par une telle diversité culturelle, linguistique et alimentaire.

Blog, chroniques et ateliers

Elle se dit aussi impressionnée par la qualité de certains restos, et le fait que la Suisse abrite la plus grande densité de tables étoilées per capita. «J’ai aussi rencontré de formidables artisans – Neuchâtel compte d’excellentes adresses de boulangeries, fromageries et autres boucheries», note-t-elle. En plus de son blog à succès, suivi par des dizaines de milliers de Foodies et distingué lors des Saveur Blog Awards, Heddi Nieuwsma signe désormais des chroniques mensuelles, en français, dans la presse régionale. Elle est aussi jurée de divers concours, à l’instar de celui des produits du terroir à Courtemelon (JU), et propose encore des ateliers.

Un ouvrage sous la forme d’une invitation à (re)découvrir son propre pays dans ses aspects les plus improbables

Pour quelqu’un qui arrive avec des enfants en bas-âge et sans maîtriser la langue, la cuisine et la culture alimentaire sont la voie idéale pour s’intégrer et apprendre à connaître un pays et ses habitants. «Le blog a été un bon moyen pour dénicher et partager des informations sur l’alimentation suisse. Et c’était aussi une motivation supplémentaire, au quotidien.»

Pour chacune des spécialités retenues dans le manuscrit, l’autrice s’est d’abord attelée à des recherches historiques, avant de se rendre sur place auprès d’artisans réputés, de goûter et de recueillir informations et recettes, puis de passer à son tour en cuisine en y ajoutant sa touche personnelle. Son dessert préféré? Le carac, qu’elle revisite à l’aide d’un nuage d’épinard frais pour le glaçage. Yam.

(Véronique Zbinden)


Davantage d’informations:

cuisinehelvetica.com