Catherine Cruchon a vécu une année 2024 haute en couleurs, avec la reprise du domaine familial et l’accession à la coprésidence de la Mémoire des Vins Suisses.
Catherine Cruchon, comment s’organise cette nouvelle et jeune coprésidence de la Mémoire des Vins Suisses avec le Zurichois Gianmarco Ofner, du Domaine Pircher, à Eglisau? S’agit-il d’un modèle qui s’inspire de la gouvernance des partis politiques?
Ni Gianmarco ni moi ne sommes engagés en politique, donc certainement pas (rires). Mais par nos expériences professionnelles dans des régions différentes, nous connaissons d’autres personnes et cela permet de partir d’un réseau plus grand. Gianmarco s’occupe beaucoup des questions de structures, et moi je me sens plus à l’aise dans l’organisation d’un projet, dans les dossiers thématiques.
Pourquoi avoir voulu être accompagné par un consultant externe, Christian Maurer?
Pour prendre un peu de recul, développer un nouveau plan d’action, ne pas partir dans tous les sens, définir des objectifs communs, avec un meilleur connaisseur du monde associatif que nous. Il y a la volonté de défendre la Mémoire en tant qu’élite du vin suisse.
Que peut-on comprendre derrière cette formule?
Notre association réunit 59 vignerons qui participent au rayonnement du vin suisse, ainsi que des membres experts journalistes, sommeliers ou restaurateurs à la pointe de leurs sujets. En termes de préservation des cépages ou de méthode de culture, cette association de professionnels appartient à l’élite des vins suisses.
Que représente cette association dans vos rapports avec vos consœurs et confrères?
J’ai choisi de reprendre le domaine familial et d’apprendre ce métier, car je sentais que j’allais y rencontrer des collègues avides d’échanges et non pas des concurrents. J’adore l’ambiance qui règne à la Mémoire, on dialogue autour de visions communes, de la quête du vin parfait à nos yeux. On y fait la promotion de notre culture viticole encore trop méconnue à l’international.
C’est quoi un vin idéal pour la Mémoire?
Je ne sais pas s’il existe un vin idéal. Je préfère parler de la grande diversité des vins présentés dans leurs expressions, leurs personnalités et surtout leurs aptitudes au vieillissement. Cela n’aurait aucun sens de présenter un vin uniquement construit sur le fruit.
Catherine Cruchon se réjouit de présenter le trésor de la Mémoire des Vins Suisses le 10 mars à Lausanne. (dr)
Y-a-t-il des gens qui inventent des vins pour la Mémoire?
Je n’aime pas l’idée de créer des vins chaque année pour les revendre quatre fois plus cher. Je crois au travail sur les vieilles vignes, au fait de ne pas arracher des ceps pour replanter un autre cépage. Je crois aussi à la vérité de nos terroirs et à leurs expressions personnelles. Voilà la seule manière que je connaisse pour garder intacte le désir du client et augmenter la notoriété d’un vin, donc peut-être aussi son prix. Je ne vois pas l’intérêt de fabriquer un vin pour la Mémoire et je ne connais pas de tels vins dans l’association.
Comment resserrer encore le lien avec la restauration? A quand une carte des vieux millésimes suisses?
Les vignerons comprennent tout à fait qu’une grande cave de garde pour un restaurant implique d’immenses liquidités. A la Mémoire, on a l’avantage de disposer d’un trésor où on entrepose des vins de 59 beaux domaines. Mais il faut préciser que notre association effectue des dégustations de contrôle pour s’assurer de leur qualité. Donc nous encourageons vivement les restaurateurs à participer au mois de septembre à notre première «Mémoire Week».
Pensez-vous que les Suisses comprennent bien la notion de vieillissement d’un vin?
Voici un exemple concret: au domaine Cruchon, nous avons décidé de mettre de côté deux palettes de Pinot Blanc de 2014 et de Raissennaz 2016, nos plus vieillies vignes de Pinot Noir, et de les proposer en dégustation à nos clients l’année passée. Je constate que neuf personnes sur dix saisissent la délicatesse, la bouche épanouie de ces vins, et que beaucoup nous commandent des cartons, alors que la plupart ne connaissaient pas nos vieux millésimes. Cela me semble très encourageant.
Quel sera le plus ancien millésime à Lausanne le 10 mars lors de la présentation du trésor de la Mémoire?
Le 2016, que je trouve un peu sous-coté, alors qu’il propose un bel équilibre, fait ressortir des aspects proches de la dentelle.
A quand un vin nature?
Cela me réjouirait, parce que je trouve que nos vins natures vieillissent bien, en Suisse particulièrement, peut-être par le côté strict de nos élevages. Evidemment, il ne faut pas réaliser une telle action pour suivre une mode mais parce que l’on en comprend la pertinence.
(Propos recueillis par Alexandre Caldara)