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«L’alimentation doit être une priorité»

Secrétaire générale de Slow Food International, Marta Messa a évoqué la transformation des systèmes alimentaires lors du congrès suisse qui a vu la reconduction de Laura Rod et Toya Bezzola à la coprésidence.

Marta Messa, secrétaire générale de Slow Food International, est basée à Bruxelles. (dr)

Marta Messa, le mouvement Slow Food a vécu une transformation radicale depuis sa création à Rome, voici 30 ans. On est passé d’un cercle très hédoniste et italien à un mouvement mondial, militant, engagé politiquement.

C’est vrai que les racines du mouvement sont d’abord italiennes, puis européennes, et qu’on est partis de l’assiette avant de déplacer notre centre d’intérêt vers les producteurs, paysans, pêcheurs, etc., surtout à partir des années 2000. La première édition de Terra Madre, en 2004, a été un tournant, avec le développement de projets en Afrique et en Amérique latine. L’engagement est né de ces expériences, de la rencontre d’autres communautés: on est passés de l’assiette au combat pour l’accès aux semences et à la terre et à toute la vision politique. Cela dit, quand on parle de nos origines italiennes, il faut aussi souligner que la célébration de la nourriture, sa dimension culturelle, rituelle, festive est universelle. Que l’on mette une nappe, qu’on s’asseye par terre, qu’on mange avec des baguettes, une fourchette ou les doigts, c’est toujours une histoire de partage.

Quelle est l’importance de Slow Food International aujourd’hui?

Nous sommes présents dans 160 pays avec quelque 2500 groupes locaux. C’est difficile de chiffrer précisément le nombre de personnes impliquées, probablement autour d’un million. On peut estimer, en gros, que toutes les 20 minutes, un événement Slow Food a lieu dans le monde.

A la veille des élections européennes, vous faites un travail intense de plaidoyer résumé dans un manifeste. Quelle est la stratégie de Slow Food?

Ce manifeste écrit pour les élections européennes traduit notre philosophie et entend sensibiliser les citoyens à leur enjeu: en premier lieu, définir le futur de notre alimentation. Il faut savoir qu’un tiers du budget de l’UE est consacré à la politique agricole commune, cela a donc un impact énorme. Or 80% de ces moyens vont à 20% des producteurs en Europe, ce qui contribue à la disparition de nombreuses exploitations et petits paysans. Les ressources publiques doivent contribuer au bien public.

Quand on parle de durabilité, cela passe forcément par l’alimentation, elle doit donc être une priorité. Il faut avoir une approche holistique: ne pas se limiter à la production agricole mais voir l’ensemble des systèmes alimentaires, des semences jusqu’à la production des déchets et au problème du gaspillage. Autres messages clefs, la protection du climat et la valorisation de la biodiversité. Enfin, nous nous inscrivons dans une dynamique globale, d’échanges internationaux; il faut encourager la durabilité dans les autres pays avec lesquels nous commerçons.

Il est indispensable de changer l’ensemble du système alimentaire, dites-vous. Avec la crise climatique, il est urgent d’agir, mais comment?

Inondations au Brésil et en Afrique, incendies au Canada, sécheresse dans de nombreuses régions: les catastrophes naturelles se succèdent et concernent chacun d’entre nous. On ressent tous l’urgence liée à la crise climatique. On ne peut plus attendre, il faut mobiliser les citoyens, chacun à sa mesure: il faut soutenir les producteurs et encourager la transition vers l’agroécologie et des modes de faire durables, motiver les consommateurs à acheter en direct auprès de producteurs travaillant de manière durable, sensibiliser les jeunes.

Cela dit, avec de nouveaux conflits, la montée des mouvements d’extrême-droite, les priorités ont changé, à la veille des élections européennes : peut-on être optimistes?

Il faut rester réalistes face aux nombreux défis. C’est vrai que la situation s’est complexifiée: à la crise climatique se sont superposées la guerre en Europe et au Proche-Orient et une sensation de grande instabilité politique. Tout ceci est assez lourd au quotidien pour les gens. Mais je vois aussi la chance de pouvoir faire bouger les choses. Un peu partout, la société civile se mobilise. On découvre des projets formidables, des Fridays for Future aux Aînées pour le Climat, en Suisse ou à ce que met en place Laura Rod à l’échelle de son restaurant et de son travail en direct avec sa communauté et un réseau de producteurs locaux et durables. Il y a beaucoup d’initiatives dans ce sens; il faut les soutenir, il faut être nombreux pour porter le changement, créer des synergies.

Et la Suisse dans tout ça?

Elle n’est pas dans l’UE mais la crise climatique ne connaît pas de frontières. Elle contribue à travers de nombreuses initiatives à développer une économie durable. La stratégie mise en place par les coprésidentes Toya Bezzola et Laura Rod va dans le même sens.

(Propos recueillis par Véronique Zbinden)


Bio express

Originaire du Piémont, parfaite polyglotte, Marta Messa a fait des études de sciences politiques et économie en Angleterre, aux Etats-Unis et en Allemagne. Engagée pour coordonner la délégation africaine à Terra Madre, avant d’être impliquée, sur le terrain, dans la création des 10 000 jardins potagers en Afrique, elle est aujourd’hui secrétaire générale de Slow Food International. Passionnée par la dynamique des systèmes alimentaires et l’agroécologie, elle vit à Bruxelles depuis 2013 pour y développer un travail de plaidoyer auprès des institutions européennes.