Autrice et blogueuse, consultante et designer culinaire, Luna Kyung animera en Suisse des ateliers sur le thème de la fermentation.
Depuis une dizaine d’années, elle renoue avec ses origines et la cuisine de son premier pays, la Corée. Venue en France pour étudier aux Beaux-Arts, avant de travailler dans le design, notamment culinaire, Luna Kyung vit à Paris. En 2009, elle lance son blog La table de Diogène est ronde autour des cuisines asiatiques essentiellement, dans un esprit «Slow Food de jang (fermentation), avec la touche végétarienne d’une omnivore».
De fait, Luna est désormais une des meilleures spécialistes de la fermentation et de ses aspects culturels. Co-auteure avec Camille Oger du livre de référence L’art de la fermentation, elle invite à une plongée fascinante dans l’histoire de l’humanité, où l’on apprend que la trace la plus ancienne de cet usage – une boisson fermentée à base de riz, de miel et de fruits mise au jour en Chine – a 9000 ans. Si Luna Kyung s’intéresse à toutes les cuisines du monde, elle a singulièrement renoué depuis quelques années avec ses racines et son identité coréennes, retournant régulièrement en reportage en Corée, notamment dans les monastères bouddhistes et pour s’intéresser à la cuisine des plantes sauvages.
Elle vient de publier Easy Corée, un délicieux ouvrage qui met à la portée des Occidentaux les secrets et recettes du pays du Matin Clair, des stars que sont le bulgogi et le kimchi aux namul (légumes) et autres banchan (mezzés coréens). A l’invitation de Judith Baumann, Luna dévoilera en partie les mystères de la fermentation lors d’ateliers en Suisse fin septembre (cf. lien ci-contre).
Pour donner quelques clés historiques de la cuisine coréenne, il faut commencer par évoquer l’influence des pays voisins et de leurs systèmes de pensée: bouddhisme, taoïsme, pays d’Asie centrale et du Nord. «5000 ans d’histoire ont façonné la Corée d’aujourd’hui et sa cuisine, mais il faut savoir que la stabilité et la prospérité ne sont apparues que récemment, au lendemain de la guerre, voici une cinquantaine d’années avec l’instauration de la démocratie. Entre-temps, la Corée s’est aussi mondialisée. La cuisine que j’ai connue avant de quitter la Corée n’est plus celle d’aujourd’hui: on mange de nos jours beaucoup plus riche, gras, sucré, pimenté, épicé, qu’il y a vingt ou trente ans. On note aussi l’influence occidentale avec l’apparition de sucreries et de boissons sucrées, alors que la Corée n’a pas la culture du dessert. Face au stress d’une société très compétitive, les gens réagissent en consommant du sucre.»
Mais pour en revenir aux fondements de cette cuisine étonnamment diverse, fascinante, on relèvera d’abord l’importance de la couleur. La symbolique des couleurs joue un rôle essentiel dans les préparations, héritage de la cosmologie taoïste qui établit des correspondances entre celles-ci, les éléments naturels et les organes. Le bibimbap en est la meilleure illustration: peu de produits d’origine animale mais beaucoup de légumes dans ce riz joyeusement souligné de vert, rouge, jaune, blanc et noir. «L’idée dominante est qu’il faut réunir toutes ces couleurs de manière harmonieuse pour atteindre un équilibre des nutriments. C’est aussi l’idée chinoise très ancienne de la prévention, plutôt que la guérison, grâce à l’alimentation.»
Au-delà de la couleur et du végétal, si l’on voulait résumer la cuisine coréenne en quelques mots, on évoquerait d’abord la fermentation, centrale, et sa déclinaison en quelques condiments phares. Les Coréens vouent une passion à la fermentation et chaque famille possède ses propres recettes. Le kimchi, ou plutôt les kimchis, ne se limite évidemment pas au chou, mais donne lieu à quelque 200 apprêts régionaux et est aussi utilisé comme un condiment-légume.
Le jang, le fermenté, se retrouve dans le trio de sauces omniprésentes sur la table coréenne: pâte de soja fermenté, sauce soja et pâte de soja fermentée au piment.Un usage ingénieux de cette fève riche en protéines mais difficile à digérer. Parmi les autres ingrédients très présents, on citera encore l’ail et la ciboule, le sésame et l’huile de sésame, les pignons, l’huile de pérille.
Elèves modèles en termes de consommation de légumes et de recours à la fermentation, les Coréens mangent-ils toujours aussi sainement, malgré la mondialisation et un rythme que l’on sait frénétique? «La consommation de viande augmente, même si les légumes gardent une place très importante: on estime que 70% de l’assiette se répartit entre le riz, la soupe, les légumes, alors que le soja apporte aussi beaucoup de protéines.» Autre tendance intéressante, les Coréens redécouvrent la cuisine millénaire des temples bouddhistes, à la faveur de la popularité de Jeong Kwan notamment, mise en vedette par Netflix et les médias. «C’est une cuisine apaisante, mais aussi un retour aux racines pour de nombreux Coréens.»
(Véronique Zbinden)