Cet art divinatoire, consistant à interpréter les motifs dessinés par les feuilles de thé, a suscité un immense engouement dans l’Angleterre victorienne.
On aurait dit une joyeuse assemblée de copines se retrouvant autour d’une dégustation de fins breuvages et de petits gâteaux. Des exclamations, des anecdotes et des blagues, des éclats de voix aux accents british, genevois ou internationaux, beaucoup de rires autour de Lucy Harmer, Helvéto-britannique truculente et pleine d’humour, par ailleurs consultante en feng shui et experte en purification des espaces.
La théomancie, aussi nommée tasséomancie, voire tasséographie, est un art divinatoire qui évoque des pratiques cousines autour du marc de café, voire du vin (œnomancie); elle trouverait son origine dans la Chine ancienne. La consultante et chamane officiait aux derniers jours d’octobre dans le local dédié aux événements des marchands de thé Betjeman & Barton, en compagnie de la gérante de la boutique carougeoise Marie Verdel. «Cet art a suscité un immense engouement dans l’Angleterre victorienne, à une époque qui se passionne aussi pour l’inconscient et les arcanes de la psyché; au XVIIIe, le thé s’était par ailleurs considérablement démocratisé, devenant populaire parmi toutes les classes sociales», explique Lucy Harmer.
Deux ateliers de théomancie ont ainsi réuni à chaque fois une dizaine de personnes, un auditoire féminin pour l’essentiel, curieux et ouvert aux questions de développement personnel. Comment procède-t-on dès lors? Les ingrédients indispensables sont une tasse à l’intérieur blanc avec sa soucoupe et du thé en feuilles, quelles que soient son origine ou sa qualité. Une bouilloire et un peu d’eau chaude (de source ou minérale, de préférence) à la température idoine et, à partir de là, le thé a le chic pour arrêter le temps, souligne Lucy, mais aussi, «comme disait ma grand-mère, on peut tout régler avec une tasse de thé». La tasse remplie, il s’agit de déguster son contenu en se concentrant sur le propos ou la question du jour. Un moment de calme et de concentration, dans le décor qui vous inspire; on sirote son infusion en réfléchissant à son intention, pour ne laisser que les dernières gouttes. Tout est là, explique Lucy: le thé est le reflet de notre énergie du moment.
Marie Verdel, gérante
On recouvre enfin la tasse de sa soucoupe et on la fait tourner trois fois dans le sens des aiguilles d’une montre, toujours en se concentrant, après quoi on fait subir à la tasse recouverte de sa soucoupe un tour complet sur elle-même (ou trois tours, selon les écoles), de manière verticale cette fois, et en direction de l’extérieur. Et on lit...
On pourra argumenter à l’infini sur la pertinence des pratiques divinatoires, voire sur notre part occulte, l’irrationnel ou le chamanisme, il faut toutefois admettre que les propos de Lucy, ce jour-là, en ont troublé plus d’une, avec sa lecture des âmes et des destins sur la page blanche d’une belle porcelaine de Limoges. Car comme disait le sage Lu Yu, premier maître de cet art au VIIIe siècle, on boit aussi du thé pour oublier le bruit du monde.
(Véronique Zbinden)