Une nouvelle génération de producteurs travaille à laver cette méchante réputation de bibine poisseuse. Visite guidée en cette journée mondiale du Lambrusco
Vittorio Razzaboni et ses fils sont partis de rien ou à peu près. Un peu téméraires sans doute, ces entrepreneurs passionnés de vin se sont entichés d’un site vierge de toute culture et de tout pied de vigne à Medolla, aux portes de Modène, parce qu’ils croyaient au potentiel de son terroir crayeux et argileux. Démarrant leur projet en 2014 au côté de leur père, Riccardo, Andrea et Tommaso, les trois frères aux parcours complémentaires, ont replanté, construit, aménagé, imaginé.
Aujourd’hui une douzaine de cépages essentiellement autochtones – sorbara, salamino, pignoletto ou encore ancellotta, mais aussi chardonnay et cabernet sauvignon s’épanouissent sur quelque trente hectares autour d’un bâtiment central futuriste, baignés de musique et de parfums de citronnelle. Ce projet un peu fou se nomme Venti Venti et a pour slogan «la nouvelle expression des vins d’Emilie»; il tend à la durabilité à l’autonomie énergétique avec ses panneaux solaires, ses cultures bios, ses méthodes d’irrigation et de vinification extrêmement pointues.
A moins d’une heure de là, Gaida, province de Reggio, nous voici dans l’un des cinq sites du domaine historique Medici Ermete, 83 hectares en tout et l’un des plus anciens producteurs de Lambrusco, depuis 1890, étroitement associé à son histoire. Alessandro Medici incarne la cinquième génération et revient volontiers sur l’origine de ce patrimoine. Bien avant l’avènement du prosecco et du franciacorta, le lambrusco est le premier vin pétillant d’Italie, parmi les premiers crus aussi, avec le chianti, à s’exporter dès les années 1960 avec succès. Avec à la clé des chiffres qui donnent le vertige, les ventes mondiales dépassant bientôt les 100 millions de bouteilles par an (la production est aujourd’hui retombée à la moitié environ). Ce succès fulgurant se solde hélas par une image terrible qui colle encore à la peau du Lambrusco, raconte en substance le jeune entrepreneur.
Là-dessus, il aura fallu le réveil de quelques pionniers au cours des années 1990 et 2000, au nombre desquels Alberto, le père d’Alessandro, pour en finir avec ces breuvages surdosés en sucre et formatés pour une clientèle internationale peu avertie. Réduction drastique des rendements, sélection rigoureuse des grappes, viticulture durable et derniers outils technologiques en cave. Medici Ermete est désormais considéré comme l’un des meilleurs producteurs.
La jeune fratrie de Venti Venti est elle aussi vouée à renouer avec le riche terroir émilien et ses cépages autochtones originaux pour en tirer quelques petits bijoux. Un blanc de blanc issu de pignoletto, couleur paille, très minéral, avec une légèreté de fruits frais et secs et une bulle ultra fine; un salamino couleur rubis intense, du nom de son cépage autochtone, complexe et enveloppant en bouche avec une belle fraîcheur et une mousse plus présente; un rosé de sorbara rose pâle au parfum de fruits rouges et à la minéralité vive; un brut plus marqué par le chardonnay et son côté pomme verte, avec en contrepoint l’ajout de sorbara pour un parfum de brioche.
La petite équipe passionnée de Venti Venti a elle aussi créé un climat, une atmosphère, avec ses cépages exprimant la vérité d’un terroir, ses rendements faibles, les parfums de citronnelle et la musique diffuses pour protéger la jeune vigne. «L’Emilie Romagne est traditionnellement, une terre de coopératives, ce qui a peut-être retardé la prise de conscience. Mais aujourd’hui les coopératives elles-mêmes s’inscrivent dans la même dynamique, pour bon nombre d’entre elles», note encore Alessandro Medici.
Le vin pétillant avait bien failli perdre son âme, confronté à un vrai défi et à une lente reconquête. Parmi les premières reconnaissances, celle du guide spécialisé Gambero Rosso, l’équivalent du Michelin pour l’Italie ou à peu près, couronnant d’abord les vins du Domaine Paltrinieri, avant que ne s’imposent d’autres noms (Venturini Baldini, Paltrinieri, Gualtieri, Chiarli Modena, Cantine Ceci, Vinicola Decordi, Fattoria Moretto, etc.) En 2017, c’est au tour du New York Times de prendre acte de ce renouveau en soulignant que l’authentique vin rouge effervescent est à la fois frais et sec, avec des notes terreuses et une amertume légère, et qu’il se marie bien avec la cuisine voluptueuse de cette région d’Italie. Mais aussi avec certains plats coréens, indiens ou mexicains, voire les grillades.
(Véronique Zbinden)