A Rivaz et à Mont-sur-Rolle, les domaines Bovard et Paccot se battent pour montrer la diversité des clones de chasselas. Un projet unique au niveau mondial.
Considéré encore comme raisin de table en France, le chasselas bénéfice désormais d’un tout autre prestige en Suisse romande, où on le préserve, le bichonne. Et quand on le considère comme un vin de garde, il dévoile une richesse, une complexité mielleuse inattendue, pour qui connaît les jeunes millésimes électriques. Il reste à 64 % une production vaudoise, mais se décline aussi à 22 % sous le nom de fendant et se déniche à Genève (7 %) et à Neuchâtel (4 %).
On part pourtant de loin, car au début des années 1980, sa surproduction a terni sa réputation. Mais depuis la révolution qualitative des années 1990 et l’introduction des quotas, les choses changent vite. Grand défenseur du chasselas, le généticien de la vigne José Vouillamoz en parle avec passion: «Les vins de chasselas sont de formidables révélateurs de terroir. Ils offrent une palette aromatique subtile mais vaste, allant de la neutralité la plus désarmante à l’élégance personnifiée.»
Le chasselas reste à 64 % une production vaudoise – ici un vignoble de Rivaz, en Lavaux –, mais il se décline aussi à 22 % sous le nom de fendant en Valais, et dans une moindre mesure à Genève et Neuchâtel. (Suisse Tourisme)
De multiples associations se battent pour qu’on reconnaisse ce cépage aux multiples visages et qu’il retrouve sa juste valeur, que l’on songe au concours du Mondial du chasselas basé à Aigle, à la baronnie du Dézaley en Lavaux ou à la Mémoire du Vin Suisse au niveau national. De son côté, le travail hors du commun accompli au niveau mondial par le con-servatoire commence en 2010, sur 4500 m2, à l’initiative de Louis-Philippe Bovard. Il faut suivre la silhouette élégante de ce capitaine au long cours, la casquette solidement ancrée sur la tête comme un personnage sorti de Tintin, amoureux de la vigne, jamais avare en innovation et orfèvre en communication, pour comprendre ses recherches. Il décide de mettre à l’honneur 17 clones de chasselas sur une parcelle de Rivaz. Ce conservatoire a fêté ses 10 ans en 2020. Il vise, en partenariat avec Agroscope et la Direction générale de la viticulture du canton de Vaud, à sensibiliser le public à la qualité et à la richesse biologique et historique liée à ce cépage. En 2020, Raymond et Laura Paccot décident d’inaugurer une réplique de la collection de Rivaz, à Mont-sur-Rolle, avec un mode de culture biodynamique.
La sélection clonale du chasselas a débuté en 1923 à la Station d’essais de Lausanne afin de repérer des clones exempts de viroses graves et régulièrement productifs. Une quarantaine de clones ont fait l’objet d’observations systématiques pendant une dizaine d’années, à partir desquelles trois clones ont pu être sélectionnés. L’un d’entre eux, le clone de chasselas fendant roux, a été particulièrement multiplié et diffusé dans le vignoble romand à partir des années 1950. Intéressant de déguster aujourd’hui l’expression du fendant roux classique de Rivaz. Il se laisse légèrement dorer au soleil, le dégustateur remarque surtout sa vivacité et son ample structure acide, alors que dans sa version bois rouge, on remarque plus de souplesse et un corps bien établi. Mais la véritable complexité, le côté soyeux du vin, s’exprime totalement avec le Petit Clos de Laura Paccot. Une parcelle de vieilles vignes de 70 ans, où elle mélange quatre clones. La vigneronne explique travailler particulièrement sur la texture en bouche.
José Vouillamoz, généticien de la vigne
«Nous privilégions les micros-vinifications, nous séparons au pressurage 200 litres, on travaille le jus par gravité et le débourbage statique. Cela donne des jus très troubles, je crains les réductions. Nous optons pour une macération malolactique sur tous les vins et vendangeons en grappes entières», explique Laura Paccot.
Le domaine Paccot ne veut pas rester «prisonnier de son histoire». Il ne craint pas d’arracher des vignes quand il le faut et, en réaction au réchauffement climatique, se tourne de plus en plus vers la complantation, le mélange des cépages, n’hésitant pas à mélanger pinot gris, doral et chasselas sur une même parcelle et à envisager des assemblages. Et ce à l’inverse de tenants de la tradition comme Bovard, même si ces deux domaines collaborent étroitement dans le cadre du Conservatoire.
(Alexandre Caldara)
Pour une minéralité profonde, une vérité du terroir sur des sols argileux, on se tournera vers le Calamin 2023 de Blaise Duboux. Pour un vin hyper expressif, de superbes arômes de poire et de litchi , le Clos de Manglod 2022 Vieilles vignes du Domaine Cornulus en Valais offre une noble amertume finale. Le chasselas retrouve sa grâce sous toutes ses formes, dixit José Vouillamoz, qui salue «le retour des consommateurs vers des vins plus élégants et digestes».