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L’épreuve de l’eau et du feu pour des vins rouges

Déguster des vins rouges qui ont bénéficié de deux traitements opposés pour les assouplir: c’est fait, à Lausanne et à Morges. Expériences.

En attente d’être ouvertes, les bouteilles de Servagnin montrent qu’un an au fond du Léman, c’est le pied! (Isabelle Avenarius)

C’est une question d’eau et de feu: pourquoi loger un an durant au fond du Léman des bouteilles de Servagnin, le cépage rouge de Morges (VD) autoproclamé plus ancien pinot noir du pays depuis plus de 600 ans, ou «toaster» des rafles d’un même cépage ajoutées ensuite à un gamay ? Dans les deux cas, pour assouplir les tanins et rendre le breuvage plus souple. Et ça paraît marcher! La preuve en deux exemples.

Ce jour-là, maussade, en lever de rideau du salon Divinum à Morges (qui a accueilli 20 000 personnes, un record, pour sa sixième édition, début avril), on a repêché des flacons de Servagnin 2018 de la Ville de Morges, logés par 27 m de fond, au large du Boiron, affluent du Léman. Les redoutables moules quaggas, qui pullulent dans l’eau douce, avaient eu tout loisir d’attaquer le bouchon, en progressant sous la cire qui le recouvrait. Douze mois paraissait suffisants pour éviter une déprédation... Une bouteille de ce rouge, élevé en fût de chêne, fut ouverte et comparée à un vin «identique», mais stocké dans une armoire à température et hygrométrie contrôlées. Le lac affichait aussi une température constante (autour de 13°) et une hygrométrie absolue (100 %), sans oublier le mouvement de l’eau, qui pouvait influencer les bouteilles entreposées dans une caisse ajourée. Verdict immédiat : au nez, comme en bouche, le vin lacustre se révèle plus ample, plus souple, avec une légère note de champignon. La cuvée terrestre paraît plus fermée, plus dure sous les papilles, avec une finale (encore) amère. L’expérience, portant sur 300 bouteilles, tient plus du «buzz» médiatique, que de l’étude scientifique, reconnaît Jean-François Crausaz, le président de la commission Servagnin des Vins de Morges.

Du gamay avec de la poudre de rafle

Il eût fallu mettre la haute école vitivinicole de Changins dans le coup. Celle-ci a participé à l’autre expérience, menée par la société Torevitis. Deux de ses associés, Lionel de Pontbriand, qui est passé par Changins, et l’œnologue bordelais Grégoire Chantreuil, cachent sous le nom de Torevitis, leur «truc» principal, pour lequel un brevet a été déposé: la torréfaction de la rafle. Il s’agit de récupérer la grappe dépouillée de ses raisins, de «rôtir» ces tiges, puis de les réduire en poudre, qu’on ajoute au moût en cours de vinification, comme on le fait avec des tanins. Problème: le label biodynamique demeter ne tolère pas l’ajout d’«intrants».

Pour le duo, la poudre de rafle torréfiée n’est pas un «produit œnologique» exogène, mais bien un élément d’origine réincorporé. Et il faut l’utiliser le plus frais possible, même s’il paraît pratique de le lyophiliser, voire d’ajouter de la rafle du cépage X au moût Y... Avec quelle réussite? «On ramène de la matière sur un millésime faible et de la fraîcheur sur un millésime riche. L’utilisation de la rafle ne change pas la nature du vin mais amplifie sa longueur», assure Lionel de Pontbriand. Pour preuve, un gamay 2021, sous l’étiquette «Vigne.Rhône.s» (vous captez?), produit par Mathilde Roux, à Fully (VS), Stéphanie Deslarzes, à Aigle (VD) et Emilienne Hutin à Dardagny (GE), estampillé «vin de pays de la Suisse occidentale». Huit cents bouteilles sont réservées à trois restaurants, The Fork sur les quais de Vevey, Le Tonnelier, à Bulle et le Grancy, à Lausanne. Si les vigneronnes n’avaient pas passé une partie de leur vin dans des barriques, certes usagées, on aurait pu vérifier que «le bois du raisin revient dans le vin». Non pas techniquement, mais bel et bien gustativement.

(Pierre Thomas)


Davantage d’informations:

vinsdemorges.ch/le-servagnin

torevitis.ch/vins-sur-mesures