Après le timorasso, le Piémont se redécouvre un autre vin blanc sec, l’erbaluce. Mais hors de la DOP Caluso, son nom ne peut être évoqué.
A Ghemme, au nord de Novare, les frères Rovelotti l’appellent «il vitigno inomabile». Le cépage qui ne peut être nommé... ni sur l’étiquette, la contre-étiquette ou même dans la communication. Mais qui a lu le cahier des charges de la DOP Colline novaresi sait que ce blanc ne peut être tiré que de l’erbaluce à 100 %. L’honneur, qui se cache dans un texte législatif, est donc sauf.
Récemment, au Castello di Novara, on a confronté cinq vins de l’ouest du Haut Piémont, le Canavese et Caluso et autant de plus à l’est, des Colline Novaresi aux Coste de la Sesia, la rivière qui descend du versant sud du Mont Rose. Au pied des Alpes, sur un vaste périmètre, les sols vont des moraines de l’ouest aux restes agrégés à des roches plus jeunes du «supervolcan» de la Valsesia.
L’antique cépage, cité en 1606 comme erbalus provenant «de la montagne de Turin», n’a que quatre clones. Ils sont cultivés de manière différente sur quelque 250 hectares, une surface encore modeste. Pergola à Caluso, sur fil ailleurs, pour un rendement plus important et une mécanisation du vignoble. L’erbaluce est répu-té «versatile» et «plastique» et convient à presque toute vinification. Si, dans la région d’Alessandrie, le timorasso a failli disparaître, l’erbaluce, à Caluso, a été «sauvé» parce qu’il peut être récolté tard, séché sur claies, et donne des vins doux d’une agréable aromatique de fleurs blanches. Il subsiste ainsi à Caluso, qui a pu s’assurer l’exclusivité italienne de sa mention, avec la DOP Erbaluce di Caluso. A Ghemme, les frères Rovelotti, se sont équipés pour produire un vin passerillé en cagettes.
Ce cépage blanc autochtone est proposé depuis une vingtaine d’années en vin sec dans tout l’Alto Piemonte, donnant un vin frais, avec des notes d’hydrocarbure (comme le timorasso du reste), qui s’accentuent avec l’âge, le rendant remarquable au vieillissement. Pour une consommation rapide, des caves le proposent sans malolactique.
D’autres l’essaient en «vin macéré», à la mode, qui, comme le Selmu de Davide Carlone, à Boca, ne va pas jusqu’au vin orange, mais exprime de beaux arômes de mangue et de fleurs blanches (accacia, chèvrefeuille). A l’ouest, le Rebellio d’Onore Gualtiero, dans le Canavese, également macéré, est tout aussi convaincant, avec ses notes de pêche de vigne. Indéniablement, des vins de repas, loin du blanc d’apéritif. La grande acidité de l’erbaluce, difficile à brider en cave, selon les vignerons, convient à la «champagnisation», pour des spumante ambitieux, souvent élevés de nombreux mois sur lies.
On le voit, l’erbaluce mérite mieux que l’anonymat où l’exclusivité obtenue il y a vingt-cinq ans par Caluso le cantonne. De l’avis des spécialistes, seul un geste de la DOP, qui renoncerait à son privilège, peut résoudre l’équation et faire de l’erbaluce le seul vin blanc à promouvoir de tout l’Alto Piemonte. Voilà qui rappelle d’autres cas où les Italiens sont à cheval sur les appellations. Au grand dam des Languedociens et des Corses, les DOP sardes Vermentino di Gallura et Vermentino de Sardaigne, ont obtenu de l’Union européenne une protection du nom du cépage «vermentino», que la Provence nomme «rolle». Mais les Corses, non sans raison, qui l’appellent «vermentinu», et les Languedociens, pour des raisons plus obscures doivent y renoncer et la répression des fraudes françaises doit veiller au grain.
(Pierre Thomas)