Malgré des avancées ponctuelles, la situation ne s’améliore pas sur le front des écarts salariaux. Pire, la part inexpliquée des disparités a augmenté et atteint de niveaux records.
En dix ans (2012-2022), la part inexplicable de ces différences salariales – autrement dit les discriminations liées au genre – a augmenté de 39 % à 47,8 %. Les bonus eux-mêmes, quoique très limités, puisqu’ils représentent en moyenne 41 francs mensuels, sont révélateurs de ce fossé: 55 francs pour les hommes contre 27 francs pour les femmes. A l’autre extrémité du spectre des revenus, si l’on considère le secteur financier, les primes moyennes mensuelles s’y élèvent respectivement à 1459 francs au masculin contre 693 francs pour une femme.
La lecture de Véronique Rebetez, responsable égalité auprès de Syna, membre de Travail.Suisse, n’est pas plus souriante. «S’agissant de professions très genrées, souvent mal payées et pénibles, on y vieillit mal, souligne l’experte, avec de nombreuses réorientations lorsque c’est possible. Ces professions du service ou du ménage notamment sont à la merci du moindre accident de parcours ou maladie et se retrouvent surreprésentées dans les statistiques du chômage. On trouve peu de sommelières qui exercent encore au-delà de 60 ans, en raison de la pénibilité mais aussi du souhait de l’employeur de montrer une image jeune. Se retrouver au chômage, souvent de longue durée, est une façon peu digne d’arriver à la retraite, avec les implications financières que cela entraîne.» La possibilité de réviser la loi sur l’égalité n’a donné aucun des résultats escomptés. La stratégie Egalité n’aura concerné pratiquement que le secteur public et «l’absence de moyens de contrôle indépendants et de sanctions en font une coquille vide».
A cela s’ajoute la question du juste prix: les salaires sont trop bas, de manière plus ou moins marquée selon les régions ou les villes, ce qui pose «un vrai problème structurel». Mais le salaire ne fait évidemment pas tout et il faudrait impérativement y ajouter des plans de formation et une formation continue, ainsi que des solutions adaptées en terme de planification des horaires et de conciliation de la vie familiale et professionnelle.
Le secteur de l’hôtellerie-restauration ne représente qu’une petite part de la population active salariée, soit quelque 4,1 % ou 76 000 personnes, parmi lesquels 30 000 frontaliers environ. Mais ces professions incarnent un des fleurons du tourisme et de l’image de marque de la Suisse. Leur nombre est inversement proportionnel à leur importance réelle et la gratification qui en résulte. Pour Valérie Borioli Sandoz, responsable de la politique de l’égalité et de la conciliation au sein de Travail.Suisse, «le personnel de service et d’accueil contribue grandement au rayonnement d’une région, d’un pays et sa fonction sociale au sein de la population est également immense». De quoi miser enfin sur leur valorisation et sur une meilleure visibilité. Le fait que les différentes associations professionnelles s’entendent pour chercher des solutions à la pénurie actuelle pourrait contribuer à une prise de conscience et ouvrir la voie à des améliorations de la convention collective.
Quelques bonnes nouvelles pour la fin? Elles sont limitées mais symboliquement intéressantes. Grâce à la médiatisation de nombreux cas d’abus et de violence, voire de harcèlement sur le lieu de travail, la parole s’est libérée, estime Valérie Borioli Sandoz. Le thème est enfin sur la table: l’impact majeur du mouvement #MeToo chez nos voisins a contribué à délier les langues jusqu’en Suisse – malgré la prévalence d’une certaine pudeur. En gros les victimes parlent ou partent, désormais, note Véronique Rebetez.
Autres facteurs positifs, la féminisation de nombreuses professions (les femmes deviennent majoritaires dans la boulangerie-pâtisserie-confiserie) et l’irruption sur le marché du travail des jeunes générations qui n’acceptent plus de se voir discriminées ou méprisées, pour qui l’égalité est une évidence (ou à peu près). Enfin, les deux spécialistes se félicitent de l’émergence de trop rares initiatives privées pour mettre en place la semaine de quatre jours et/ou fluidifier les horaires pour les rendre compatibles avec une vie familiale.
(Véronique Zbinden)