Depuis l’inauguration début juin du restaurant Coco Mama, Jurani Naiborhu et Alberto Fulong font le plein grâce à une carte d’inspiration japonaise et un service efficace et convivial.
A Montreux, c’est l’adresse du moment. Inauguré au début de l’été à l’endroit où était jusqu’alors exploité un restaurant thaïlandais, le Coco Mama attire la foule à chaque service. Curieux parce qu’on avait vu, au cours des semaines précédant l’ouverture, une équipe dynamique retaper la terrasse au bord du lac, on s’y risque un jour de semaine pour découvrir une cuisine d’inspiration japonaise, avec ici et là quelques touches péruviennes, et caractérisée par un juste dosage des saveurs et des cuissons parfaites, le tout rehaussé par un service particulièrement attentif.
Derrière la réussite de l’entreprise se cache certes le savoir-faire d’Estelle et Nicolas Mayer (lire ci-dessous), mais le client attentif ne peut manquer d’observer la dynamique insufflée par une paire improbable, ce duo constitué par le directeur Jurani Naiborhu et le chef exécutif Alberto Fulong. Le premier est extraverti, jovial, affable; le second calme, discret, pondéré. Malgré leurs différences, ou peut-être justement grâce à elles, Jurani et Alberto – entourés par une équipe d’une vingtaine de collaborateurs – ont réussi leur entrée sur la scène gastronomique locale. Mieux encore: ils sont parvenus en quelques jours à la dynamiser grâce à la richesse de leur parcours respectif.
Leur rencontre professionnelle remonte à 2018. A l’époque, Jurani Naiborhu est maître d’hôtel au Schweizerhof, à Zermatt. Alberto Fulong, quand il rejoint l’équipe en qualité de chef exécutif, connaît déjà bien le groupe Michel Reybier Hospitality; il a été en poste à La Réserve Ramatuelle, où il a lancé avec succès le concept La Muña, repris depuis dans plusieurs villes, dont Zurich et Crans-Montana. Leur complicité, d’abord timide – «je dois reconnaître que je l’ai au premier coup d’œil sous-estimé, mais ses plats m’ont immédiatement conquis», dixit Jurani –, devient vite une évidence. A tel point que le maître d’hôtel, aujourd’hui directeur, a tout de suite pensé à Alberto (qui avait dans l’intervalle quitté le groupe Reybier) quand la famille Mayer l’a sollicité pour ouvrir le Coco Mama.
A écouter le récit croisé de leurs parcours, on se dit que leur entente parfaite tient à deux points communs. Le premier est les grandes enseignes qu’ils ont tous deux fréquentées: Aman Le Mélézin à Courchevel, Maison Albar à Paris et The Luxury Collection, notamment, pour Alberto, qui a aussi travaillé dans plusieurs établissements de Kyoto, au Japon; Hôtel d’Angleterre à Genève, Chedi Andermatt, Mont Cervin Palace et Cervo Mountain Resort à Zermatt, entre autres, pour Jurani, dont les premiers pas en Suisse ont eu lieu à Berne (Ambassador), Lucerne (Monopol) et Gstaad (Palace).
Le second point commun, lui, est de nature plus intime, car lié à leur histoire de vie. Tous deux, en effet, sont issus de familles très pauvres. Jurani a grandi dans un petit village de Sumatra. De son enfance, il garde l’image d’un père qui s’active dans les rizières et d’une famille où l’on est agriculteur ou pêcheur de père en fils. Bien que son avenir semble tout tracé, il a envie de poursuivre sa scolarité. Seul problème, l’école se trouve dans un village à trois heures de marche de son domicile, accessible seulement par un sentier qui serpente à travers la jungle. «Nous étions un petit groupe à nous lever au milieu de la nuit. La marche se faisait à la lampe frontale, et, souvent, nous croisions des bêtes sauvages», se souvient celui qui, une fois en classe, faisait l’objet de moqueries à cause de son uniforme souillé de terre.
A l’âge de 11 ans, il pousse l’audace jusqu’à aller s’installer, seul, dans la ville la plus proche, afin de poursuivre ses études. «Pour subvenir à mes besoins, je travaillais dans un supermarché, où j’étais littéralement exploité, tandis qu’en classe je côtoyais des enfants de bonne famille. Puis je suis allé à Bali, où j’ai bénéficié d’un incroyable coup de pouce du destin quand un missionnaire m’a payé la première année d’une école hôtelière.» La suite? Il se rend en Suisse pour étudier à Lucerne. Tout de suite, il se sent à l’aise dans son pays d’adoption, dont il apprend vite toutes les langues. «La mentalité helvétique, l’ordre qui règne partout et le professionnalisme des maisons dans lesquelles j’ai travaillé, tout cela m’a plu instantanément.»
Alberto, de son côté, est né dans le sud des Philippines au sein d’une famille dont le père était cuisinier. «Dès l’âge de sept ans, j’ai appris le métier, à la dure, à ses côtés. Je coupais les légumes, je participais à la mise en place, et, à la maison, c’est moi encore qui cuisinais pour mes frères et sœurs», se rappelle celui qui, en dépit de cet apprentissage précoce et difficile, a toujours nourri une passion pour la cuisine. «Jamais je n’ai songé à faire autre chose, j’adore cuisiner.»
A l’instar de Jurani, Alberto ressent le besoin de quitter son village natal pour tenter sa chance en ville. Le voilà donc à Manille, dans la cuisine d’un restaurant japonais, ce qui lui permet non seulement de renouer avec les origines de sa grand-mère, mais aussi d’apprendre véritablement les bases du métier tel qu’il le pratique encore aujourd’hui. «On m’a enseigné les gestes, mais aussi à me lever très tôt pour que tout soit prêt à l’heure du coup de feu. Une vraie école de vie.»
La suite de son parcours l’emmène au Japon, à Kyoto, où il parfait ses techniques, puis c’est l’Europe et l’expérience au sein de prestigieuses brigades et enseignes. Paradoxalement, quand on lui demande qui ont été ses mentors, il cite ces chefs japonais de Manille, ceux qui lui ont appris «à faire tous les sacrifices nécessaires» pour s’épanouir dans sa profession de cuisinier. C’est la raison pour laquelle, attaché au patrimoine culinaire nippon, il ne revendique pas forcément l’étiquette de la cuisine nikkei, malgré les influences péruviennes évidentes de ses plats colorés et souvent relevés avec des piments jaunes (ají amarillo), d’Amazonie ou rocoto.
La magie du Coco Mama, c’est sûr, doit beaucoup à ces trajectoires atypiques et admirables en tout point.
(Patrick Claudet)
Inauguré peu avant la 57e édition du Montreux Jazz Festival, le restaurant Coco Mama est devenu en quelques semaines l’une des terrasses les plus courues de la Riviera. Derrière le concept de restauration inspiré par les cuisines japonaise et péruvienne, et incarné au quotidien par un binôme bien rôdé (lire ci-dessus), se cache un couple qui n’en est pas à son coup d’essai.
Estelle et Nicolas Mayer, secondés par leur fils Vadim, en cours de formation à l’EHL, exploitent en effet six établissements, dont cinq sont situés dans un périmètre délimité par Vevey, Caux et Montreux. Si la plupart sont des tables très prisées (la trattoria Bla Bla à Vevey, le Coucou et ses spécialités suisses à Caux, le Coco Mama et la toute nouvelle guinguette Lilo à Montreux), il y a aussi trois hôtels (Vevey House, Coucou à Caux et Tralala à Montreux), de petites unités de 13 à 36 chambres aux infrastructures modernes, avec chacune leur identité.
Cet ancrage hôtelier n’est pas une surprise: d’une part, Estelle Mayer est présidente de la Société des hôteliers Montreux-Vevey; d’autre part, le tout premier établissement, celui par lequel tout a débuté, est un écolodge sur l’île malgache de Sainte-Marie. Madagascar? C’est le pays d’origine du père de Nicolas et de ses frères, Francois-Xavier, alias Fifou, directeur opérationnel, et Patrice, directeur technique, et en charge de la décoration. «L’ouverture de cet hôtel de 20 villas pieds dans l’eau remonte à 2000, quand nous avons repris et transformé un établissement familial», explique Fifou, qui partage son temps entre la Suisse et Madagascar, et croisé lors de l’un de ses récents séjours sur la Riviera.
(pcl)