Le chef gruérien ajoute une annexe plus simple à sa table étoilée des Mossettes, à Cerniat. Un prolongement à sa vision engagée. Et la promesse de joyeuses Bénichons.
Il était et redeviendra bientôt «le cœur battant d’Estavannens», ce vieux chalet serti au milieu du village de l’Intyamon célèbre pour ses poyas, son décor alpestre idyllique. L’Auberge des Montagnards a connu son heure de gloire au tournant du millénaire quand elle régalait les touristes et les locaux de ses spécialités de gibier, sa pintade au foin, ses desserts riches en meringues et autre crème double. A l’abandon, elle risquait de se voir démolie ou transformée par quelque promoteur; elle vient d’être rachetée par un habitant du lieu, qui a souhaité en confier les clefs à Nicolas Darnauguilhem, le chef de la Pinte des Mossettes, à Cerniat. L’endroit est magnifique, et, pour le (presque) voisin – doublement étoilé de rouge et de vert par le guide Michelin –, il n’y a pas eu l’ombre d’une hésitation avant d’accepter.
La façade d’abord, étrange avec son avant-toit déployé en ailes de papillon, sa frise et les nœuds du bois qui lui dessinent une manière de manteau tacheté, prolongée par une terrasse et, à l’intérieur, un décor de chalet simple mais cosy, quelques tableaux animaliers et, aux fenêtres, des rideaux blancs crochetés. «La cuisine elle-même est comme neuve», précise Nicolas Darnauguilhem, qui a rouvert le 5 avril, soit une semaine après le début de la saison aux Mossettes. Tout s’est enchaîné rapidement pour parvenir à réunir une équipe, rafraîchir la déco, garnir les crédences d’une vaisselle de grand-mère bien dans le ton, imaginer une cave et une carte cohérentes avec la vision du chef. Celle-ci s’inscrit comme le prolongement logique de son travail à Cerniat, du jardin extraordinaire qu’il y a réalisé et qui n’en finit pas de s’étendre, où picorent même quelques poules, canards et oies. Un jardinier s’y consacre à temps plein, mais l’ensemble de l’équipe – une dizaine de personnes désormais entre les deux lieux – contribue aux cultures comme à la cueillette sauvage, effectuant des aller-retours entre le dedans et le dehors.
«Plus que jamais, la cuisine est le lieu où défendre des idéaux, notamment environnementaux», souligne le chef, regard vert tendre sous un petit bonnet de marin. La sienne traduit la lumière de la Gruyère et ressemble à son décor jusqu’à se fondre avec lui, joyeuse et généreuse, limpide, sincère. La cueillette sauvage est depuis toujours une grande inspiration, à laquelle s’ajoute aujourd’hui le jardin; une focale sur l’arc alpin et ses produits d’exception, une carte des vins axée sur les crus nature.
«Nico» fait son propre pain, affine depuis peu certains fromages, ne travaille qu’en direct avec ses fournisseurs: cochon, bœuf ou agneau, chaque bête est achetée entière, sur pied à l’éleveur et valorisée de la tête à la queue. Le fait d’ajouter un café – avec son offre de pot-au-feu, terrines et autres mijotés – à sa table plus ambitieuse contribuant à cet équilibre, à la cohérence de l’ensemble. Les deux traduiront une même vision engagée, enracinée et sacrifieront de même joyeusement à la tradition de la Bénichon.
Une petite équipe de trois s’est installée ces derniers jours à Estavannens, affairée aux derniers détails: Maëlle Gordien, sommelière venue des Mossettes, officie entre la salle et la cave, aux côtés d’Anthony Beque, jeune chef formé notamment à l’étoilé Bozar, à Bruxelles, et de Fatiha Abdouni, en cuisine.
(Véronique Zbinden)