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Luciole vient allumer La Chaux-de-Fonds

Anne-Gabrielle Dubuis et Daniel Baker proposent une cuisine entièrement végétale, malicieuse et originale.

  • Trio d’amuse-bouches: rösti d’or, chou-rave teriyaki et tartelette zéro déchet à l’absinthe Larusée. (Photos Sandra Mattsson)
  • Le Luciole, aménagé avec goût, occupe un bâtiment classé des années 1900.

Le décor, d’abord. Celui d’un bâtiment classé des années 1900, plafonds hauts et boiseries, puits de lumière et parquets qui craquent. Au cœur du centre historique de La Chaux-de-Fonds, sinistré par la tempête de l’été dernier, l’immeuble semble épargné, immuable, sourd aux bruits du monde. Quoique. Une petite créature vibrionnante s’y est posée depuis quelques jours, porteuse d’une lueur fragile et d’une belle énergie butineuse.

Le local avait accueilli l’excellent Carvi noir, contraint de renoncer au bout de trois ans, en raison d’une situation économique difficile. Il a été rhabillé d’une couche de bleu pétrole, de mobilier chiné et de natures mortes, de grands miroirs à dorures, l’entrée et sa cuisine semi-ouverte revues et dotées d’un système de ventilation, d’un nouveau bar et d’un espace lounge.

Une jolie ambition plutôt rare

Surtout, le propos est désormais entièrement végétal, avec une jolie ambition, plutôt rare en ces contrées. Un jeune couple passionné vient d’ouvrir Luciole au lendemain de la Saint-Valentin: à l’accueil, Gabi (Anne-Gabrielle Dubuis), originaire de la région, et, en cuisine, Danny (Daniel Baker), jeune chef britannique au cursus essentiellement plant-based – passé notamment par les étoilés et ultracréatifs Gauthier Soho et Mana, Manchester, auprès de Simon Martin, ancien du Noma.

A 26 ans et une longue expérience de petits jobs dans l’hôtellerie-restauration pour financer ses études, partie étudier dans le Pays de Galles, anglais, psychologie et orthophonie à l’University of Wales, la première se destinait a priori plutôt à l’enseignement. Quant à Daniel, 31 ans, végétarien puis végane de longue date, il s’est enflammé pour la cause de la cuisine végétale qu’il perçoit comme extrêmement créative et dotée d’un immense potentiel. Ils se sont rencontrés en 2018, dans un petit resto du Pays-de-Galles, à Bangor, et, très vite, dans leur histoire, le projet de créer un lieu qui leur ressemble a pris forme. Et puis le covid est passé par là et tout est devenu plus compliqué, notamment pour les étudiants. Gabi se retrouve dès lors à privilégier le côté Hospitality, qu’elle aime depuis toujours. Rendre chaque expérience unique pour ses hôtes, c’est ce qu’elle aime faire avec son sourire lumineux et une grande douceur.

Une prise de risque limitée

S’installer dans une région périphérique, dont l’économie n’est pas la plus florissante ne les effraie pas, en dépit d’un nombre de couverts limité (deux petites salles totalisant 14 ou 15 couverts, une ouverture du mercredi au samedi), et ils ont pour projet de tout faire à deux, du moins dans un premier temps. «Nous visons une dizaine de convives par service quatre jours par semaine, en tablant sur les quelque 200 000 végétariens et véganes que compte la Suisse, et une population dont le quart se dit flexitarienne – auxquels s’ajoutent les nombreux curieux et amoureux de la bonne cuisine», souligne Gabi. Au final, la prise de risque est limitée par des frais généraux (et des rémunérations) minimalistes, pour un modèle d’affaires assez unique dans le secteur. Small is beautiful résume assez bien le motto de ce duo romantique, volontaire et attachant.

Autre moteur puissant, la volonté de soutenir un tissu local formidable d’artisans et petits producteurs de grande qualité. Il faut dire que dès l’amuse-bouche, le convive est entraîné dans un voyage entre Asie et cueillette sauvage, marqué par l’umami et la curiosité, un habile jeu sur les textures et le contraste chromatique. Par exemple? Un dashi rehaussé de notes d’Earl Grey et d’oignon de Roscoff, une saveur intense soulignée par un bouquet garni à plonger dans le bol. Une minitartelette dite zéro déchet réunit sur un fond feuilleté les chutes des ingrédients du jour: betterave, pomme, céleri. Mais le moment central du menu, voué à devenir un plat signature, s’articule autour du règne fongique. Pompon blanc XO, pickle de chou-fleur, céleri-rave au BBQ, ketchup de prune, XO au sherry, intitulé a priori mystérieux, commence par évoquer la découpe d’une somptueuse côte de bœuf caramélisée et juteuse. Le pompon blanc ou crinière de lion (Ericium erinaceus) est un champignon mis en majesté par son apprêt et le jus extrêmement concentré qui le souligne. Danny collabore ici avec d’étonnants jeunes producteurs à l’enseigne de Mission Mycelium, à Vevey, ou d’un amour de Pleurote, à Cornaux.

A ces trompe-l’œil malins et jeux d’équilibre subtils s’ajoute une carte courte mais soignée de vins, cocktails et mocktails, sélectionnés avec amour et le même goût que la céramique ou les objets chinés. Le choix est logiquement bio, orange, biodynamique, alpin et même presque exclusivement local. Mais encore? Des fermentations, de la cueillette sauvage, un zeste de magie, une âme, un talent neuf. Bref, on se dépêche de réserver.

(Véronique Zbinden)


Davantage d’informations:

luciole-restaurant.com/fr