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Pietro Leemann «La cuisine végétarienne requiert davantage de créativit

«La cuisine végétarienne requiert davantage de créativité»Pietro Leemann est à l’origine du festival The Vegetarian Chance, qui se tiendra à Milan du 10 au 12 juin. Rencontre avec le premier chef à avoir obtenu une étoile Michelin pour un restaurant végétarien.

La cuisine de Pietro Leeman, dont le Joia a été le premier restaurant végétarien étoilé par le Michelin, reflète son parcours, entre influences françaises, italiennes et asiatiques.

HGH: Vous êtes Tessinois et avez fait l’essentiel de votre carrière à Milan. En Italie, vous êtes une star, mais on vous connaît mal en Suisse. En trois mots, qui êtes-vous?
PIETRO LEEMANN: Je suis né à Locarno et j’ai fait mon apprentissage chez Angelo Conti-Rossini, chef tessinois doublement étoilé et ami de ma famille, qui m’a donné le goût de la gastronomie et m’a ouvert les portes de Crissier. J’ai travaillé deux ans chez Fredy Girardet, puis un an chez Gualtiero Marchesi; à 25 ans, je suis parti en Asie. J’ai notamment étudié la cuisine et le japonais à Osaka, vécu un an en Chine, beaucoup voyagé en Inde. J’ai été très marqué par mon expérience asiatique, qui m’a ouvert les yeux sur ce que je voulais vraiment faire. A mon retour en 1989, j’avais 29 ans et j’ai ouvert Joia, ma table à Milan.
  
Pourquoi Milan?
Le Tessin était un peu petit. J’ai hésité à venir à Genève, mais la Lombardie est très dynamique: entre la mode, le design, les affaires, Milan bouge beaucoup. J’ai de nombreux clients qui viennent du Tessin, où je vis toujours, dans la Valle Maggia, et de Zurich…

Vous êtes le premier chef à avoir obtenu un macaron Michelin, plusieurs années avant qu’Alain Passard ne renonce à la viande…
C’est vrai: en 1996, Joia a été le premier restaurant végétarien étoilé par le Michelin. Nous visons toujours la deuxième étoile et travaillons à l’obtenir. Les débuts ont toutefois été un peu difficiles. Quand j’ai ouvert, il y avait un restaurant macrobiotique dans tout Milan et j’étais le seul. Aujourd’hui, il doit y avoir une quarantaine de restaurants végétariens dans la ville, qui proposent souvent une cuisine moyenne à bonne, rarement excellente. Je n’ai pas vraiment de concurrence à notre niveau: nous travaillons bien toute l’année. Milan est aussi très dynamique aussi sur le plan de la gastronomie avec de nombreux chefs étoilés.

Vous parlez d’«Alta cucina naturale», autrement dit gastronomie naturelle; votre cuisine est notamment marquée par l’Asie. Comment la décririez-vous aujourd’hui?
Ma cuisine est d’abord créative et reflète mon parcours, entre influences françaises, italiennes, asiatiques. Elle crée des ponts entre plusieurs cultures. Tout est bio, de saison, de proximité autant que possible; et tout est fait ici. Nous avons notre propre jardin potager à Abbiategrasso, aux portes de Milan. Nous sommes quinze en cuisine, huit au service, pour cinquante couverts.

Diriez-vous que la cuisine végétarienne est plus difficile que la cuisine classique?
Il faut plus de travail pour transformer les légumes, la ménagère fait le même constat chez elle. Mais surtout, la cuisine végétarienne fait davantage appel à la créativité que la cuisine traditionnelle, qui s’articule en général autour des protéines: on part d’une viande, qu’on met en valeur avec diverses garnitures. Personnellement je suis lacto-végétarien: au restaurant, nous utilisons des laitages mais pas d’œufs, c’est-à-dire que 80% de la carte est végane. Du coup, c’est surtout plus difficile pour les desserts et la pâtisserie. Par exemple? Macondo est inspiré de Gabriel Garcia Marquez: c’est un gâteau au chocolat cru avec un sorbet aux épices, mousse d’amande et sauce aux mangues de Sicile. Ou alors Impermanence, une maisonnette en biscuit avec des griottes et un sorbet, qu’une sauce chaude vient transformer. J’ai aussi créé un dessert à base de tomate confite en hommage à Alain Passard…

Quels sont vos plats signatures sinon, quelques créations dont vous êtes fier?
En ce moment, parmi les entrées: «Wild» est une salade d’herbes sauvages, asperges blanches, avocats, borlottis et écume d’ail des ours. Et on me redemande souvent «La vita in forma»: un faux œuf qui change au gré des saisons, avec un carpaccio de légumes marinés et pesto de cresson. Ou «Serendipity» qui évoque un jardin de rêve: des gnocchis de pommes de terre sans farine, avec du fromage de chèvre, un paysage d’herbes, deux sauces, l’une au parmesan, l’autre avec les premières tomates. Ou encore «Be vegetarian be happy»: des légumes cuits à basse température, asperges et écume de pois chiches et sauge, sauce légère carotte yuzu...

C’en est fini de la vision un peu triste et étriquée du végétarisme? Vous pensez que nous sommes à la veille d’une révolution verte?


Je viens moi-même de restaurants omnivores mais je pense que les chefs ont une responsabilité. S’ils pensent davantage en termes végétariens, ils contribueront à une évolution positive des mentalités. Aux Pays-Bas ou au Danemark où l’offre végétarienne est beaucoup plus abondante, plus visible, il y a une vraie prise de conscience des enjeux pour la santé, la planète… Mais de manière générale, la consommation de viande diminue, les gens réfléchissent davantage: la société change. Les grands restaurants et les guides sont juste un peu en retard sur cette évolution.

D’accord avec Massimo Bottura pour dire que «l’éthique est l’esthétique, le beau est le bon»?
A condition s’élargir la notion d’éthique à toute la création. Les gens qui deviennent végétariens veulent manger sainement mais pas seulement, on mange aussi pour être heureux. C’est le défi: cuisiner sain et bon, car le bon participe à la félicité, qui est un de nos plus importants desseins…

Un mot enfin au sujet du festival The Vegetarian Chance.
La manifestation reflète ma philosophie: promouvoir le végétarisme, mais de manière éclairée, sans juger. Certains véganes sont intégristes et certains carnivores sont eux aussi sectaires et intolérants. L’idée n’est pas de diviser mais d’évoluer de manière ouverte et curieuse.

Propos recueillis par 
Véronique Zbinden

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