Le jeune chef français Jérémie Cordier vient de s’installer aux Cerniers, parmi les pods et les chalets d’un écolodge valaisan.
Avec sa vue imposante, vertigineuse, la terrasse est accrochée juste au-dessous des quelques chalets les plus récents de l’écolodge; nous voici au terminus du car postal qui gravit les lacets serrés de la route de Monthey aux Giettes. A l’opposé des sommets piqués dans le coton des nuages, une dizaine de pods, ces habitats sphériques de luxe, manières d’igloos écologiques, offrent une immersion rare en pleine nature. Entre les deux sites nommés SwissCabins et Whitepod, le restaurant lui-même: Les Cerniers a beau être à 1400 m d’altitude, son propos n’est pas de servir la raclette et des assiettes de salaisons, quoique sur demande.
Jérémie Cordier, le jeune chef originaire du Jura français qui vient de s’y installer est à la fois ambitieux et dans son élément. Le trentenaire – passé entre autres chez Georges Blanc et Stéphane Décotterd – veut prolonger l’expérience de l’immersion en pleine nature jusque dans ses assiettes et parle volontiers de cuisine sauvage.
Un air léger de jazz flotte sur la terrasse, se mêle aux parfums de foin, de sapin et de coumarine. A la pause de l’après-midi, Jérémie Cordier va cueillir lui-même ses herbes sauvages. Ces jours caniculaires tempérés par l’altitude, ce sera l’achillée et la berce, la carotte sauvage, l’oxalis, les pois sauvages, la reine des prés, entre autres, mais aussi des framboises sauvages: la saison a un mois de retard sur la plaine, précise le chef, natif de Clairvaux-les-Lacs, en Franche-Comté voisine. Se retrouver dans un environnement de montagne familier, relativement proche de ses racines, était un argument de poids lorsqu’il a craqué pour Les Cerniers, tombant sous le charme du terroir et des paysages alpins. «J’ai adoré le Pays basque, où j’ai travaillé trois ans à la table des frères Ibarboure, du côté de Biarritz, un endroit magnifique, mais j’avais envie de me rapprocher et je me suis décidé très vite quand on me l’a proposé, en décembre dernier.» La philosophie est aussi celle de l’ultralocal, un tournant comme celui qu’il a vécu et apprécié chez Stéphane Décotterd voici quelques années.
On déguste ainsi ces jours une féra mémorable, idéalement cuite à basse température, rehaussée d’une vierge de berce sauvage, d’une mirepoix de tomate, fleurs et petites graines de berce croquantes, flanquée d’un nuage de purée d’aubergine et d’une carotte confite. L’entrée, une eau de concombre associant caviar suisse, oignon doux confit, haricots fins et feuillage de pois sauvages avec une fine poudre croustillante de mozzarella est un peu moins mémorable: intéressante et originale pour sa recherche autour des textures et la touche poétique du chef, quoique tenant plus de la juxtaposition de saveurs disparates que de la composition. On goûte aussi une soupe froide évoquant l’ajoblanco espagnol à l’ail et aux amandes, ponctuée d’oxalis et d’achillée, de chips d’ail ou le plat du jour à dominante carnassière, un filet de black angus aux notes de truffe d’été, radis confit, cerises sauvages, petits pois et orties. Les desserts, enfin? D’une pureté presque austère à force de réduire les sucres. Bref, un repas léger, poétique, charmant quoique manquant parfois de concentration et de nerf.
Mais le chef est un pur lui aussi, un vrai passionné qui a eu son déclic dès le lycée hôtelier, en lisant le magazine Thuriès, avant de faire son tour des tables étoilées, du Bassin d’Arcachon, et de là au Pays Basque, à Vonnas et à Brent, avant un bref passage à Crissier au Castel de Bois-Genoud. Le temps d’avoir une petite fille et de faire des Foodbox, puis de retrouver très vite cuisine à sa patte.
Le restaurant à vocation gastronomique s’inscrit dans le concept de cet écolodge, racheté par le groupe Delarive en 2006, et rouvert après transformation. Le boutique-hôtel insolite est devenu viable en six ans, attirant «une clientèle en quête d’expériences et attirée par le concept novateur». La clientèle est suisse à 70 % et ce succès a permis de développer le concept et de l’élargir à un pôle hôtelier visant à ouvrir seize lieux d’ici 2026. Après le Peanut Lodge ouvert en décembre dernier à Val d’Illiez, deux adresses à St-Ursanne, une autre à La Chaux-de-Fonds et un projet d’agritourisme dans la Broye-Vully suivront.
(Véronique Zbinden)