Chenin blanc sur sardine, le style Bogdan Tand

Le jeune sommelier de 30 ans exerce sa créativité en dialogue avec la cuisine du chef Dominique Gauthier. Le nouveau restaurant FP Journe, à Genève, leur offre un bel écrin pour leurs accords.

Dans le flambant neuf restaurant FP Journe, à la rue du Rhône, à Genève, le sommelier Bogdan Tand arrive avec un verre de vin à l’ouverture très large et au pied fin. Ce jeune sommelier de 30 ans, passé déjà par de grandes maisons, sert un blanc pour accompagner une entrée de l’emblématique Dominique Gauthier. L’ancien chef étoilé du Chat-Botté pendant plus de 20 ans lui fait totale confiance pour accompagner une sardine en escabèche marinée à l’huile d’olive servie dans un petit biscuit, avec un fond d’oignons délicats. Bogdan Tand annonce un chenin blanc, cépage emblématique de la Loire, mais exprimé par un domaine genevois: Les Balisiers avec la cuvée Nina 2019.

L’aménagement du restaurant combine l’élégance des matériaux nobles et les visuels célébrant la haute horlogerie.

«Il s’agit d’un accord d’opposition. Je recherche, sur le chenin, la tension, le côté salivant, pour contrebalancer un plat qui va vers la dimension iodée, saline. Même si on peut trouver des arômes de yuzu dans les deux propositions.» A l’apéritif, pour accompagner les amuse-bouches, dont un riz croustillant à la coriandre, il avait opté pour la cuvée de la maison – un Chasselas 2020, vielles vignes, du domaine du Rosey à Bursins, qui passe un an sur les lies et un an en vieillissement – pour son coté gras, ample et sa franche acidité. Si le client s’emmêle les pinceaux et prend une gorgée de chasselas en croyant déguster le chenin, il dit avec humour: «Je comprends, j’aurais aussi envie de revenir au chasselas.» D’entrée deux vins suisses, pas un hasard, comme l’explique le chef Dominique Gauthier: «Cela nous permet de sortir du lot des cartes traditionnelles de palaces. Les vins d’ici restent méconnus de la clientèle française et lui réservent de très belles surprises. J’essaie mes nouveaux plats en accord avec des vins suisses souples, qui facilitent la digestion.»

Une carte de 350 références

Le restaurant FP Journe du réputé et exigeant horloger, monté autour de Dominique Gauthier depuis un peu plus de sept mois à la rue du Rhône, a demandé à Bogdan Tand de créer une carte de 350 références de vins, de A à Z, comme toujours de façon très subjective.


«Les vins d’ici restent méconnus de la clientèle française»

Dominique Gauthier, chef de cuisine


La particularité de ce bistrot chic, aux tables de bois brut, à la vaisselle raffinée et aux beaux visuels rendant hommage aux mécanismes de la haute horlogerie, continue d’attirer les fidèles du Chat-Botté à Beau-Rivage, une adresse de palace construite patiemment par Dominique Gauthier. En proposant une cuisine plus décontractée, autour de la virtuosité inimitable et la maîtrise des goûts du chef, avec par exemple son jus d’agneau qui nous hante de longues heures, son directeur de salle et vieux complice Pascal Brault en sourit: «Il ne peut pas, il ne sait pas cuisinier autrement.»


C’est à Dominque Gauthier que l’horloger François-Paul Journe a confié l’élaboration de la carte de son restaurant, à Genève.


Pour Bogdan Tand, le sommelier doit toujours s’adapter à son client, le ressentir. «Je cherche ses repères, à savoir aussi s’il aime boire un pinot noir plutôt délicat, boisé ou concentré, s’il préfère les robes claires ou les vins toastés.» Le jeune sommelier doit à l’un de ses clients la découverte du pinot noir Les Cyprès du rare Neuchâtelois Jacques Tatasciore.

Liqueur de verveine avec l’abricot

Bogdan Tand aime aussi chercher des accords de soutien comme sur cette volaille petits pois morilles crème, où il veut obtenir du velouté, des arômes de groseilles. Il opte pour un pinot noir au nord des Côtes-de-Nuit, d’Aurélie Berthod, pour le côté rustique et fruité qui accompagne un plat solaire et lui redonne du peps.

Les crus s’accordent aux mets conçus par Dominique Gauthier. (Photos dr)

Autre aspect de son métier, suivre les tendances du marché, comme la demande actuelle de vin nature qu’il apprécie. Sur une fondante épaule d’agneau accompagnée de brocolis incroyablement croquants et de framboises, il propose un glouglou d’Anjou, Large Soif, composé de 80 % de cabernet franc et 20 % de gamay. «Je voulais un vin pas trop tannique, mais avec de la personnalité, grâce au parfum de bourgeon de cassis et au final de réglisse.» Plus audacieux encore, pour accompagner le dessert d’abricots et de noisettes, il sort du monde du vin et des liquoreux moelleux: «Je vous propose une liqueur de verveine du Forez, à côté de Saint-Etienne. J’aime bien ce côté radical, herbacé, pour accompagner le fruit.»


«Le sommelier doit toujours s’adapter à son client, le ressentir»

Bogdan Tand, sommelier


Né en Roumanie, Bogdan Tand effectue ses études de sommelier au Centre de formation professionnelle Adrien Zeller en Alsace, une région qu’il continue à défendre ainsi: «Cinquante-trois grands crus sur 151 kilomètres.» Pendant ses études, il travaillait déjà comme sommelier à l’Hostellerie des Châteaux, à Ottrott, une commune connue pour l’excellence de ses pinots noirs. Il servirait volontiers ces vins fruités frais à 11 ou 12 degrés en été pour accompagner une viande.


Le sommelier Bogdan Tand, passé par de grandes maisons, s’est formé au Centre de formation professionnelle Adrien Zeller, en Alsace.


De 2017 à 2021, il se forme auprès du sommelier Edmond Gasser au restaurant Anne-Sophie Pic du Beau-Rivage Palace de Lausanne, avant de rejoindre le chef Dominique Gauthier à Beau-Rivage, à Genève. Dans ce cadre, il aide le sommelier Michaël Grou à se préparer à la finale du concours du Meilleur Ouvrier de France. Mais cela ne donne pas envie à Bogdan Tand de se lancer dans un concours: «Je ne me sens pas assez homme de scène, même si je possède sûrement le bagage théorique.» Le chef Dominique Gauthier sourit. Lui non plus n’a jamais participé à un concours. La compétition et les improvisations du quotidien restent leur carburant céleste.

(Alexandre Caldara)


Davantage d’informations:

fpjourne-le-restaurant.ch