La famille Troisgros est au cœur d’un film documentaire au long cours réalisé par une légende du cinéma américain indépendant, et actuellement dans les salles romandes.
Depuis son premier long-métrage documentaire en 1967, le cinéaste américain Frederick Wiseman donne à voir la société contemporaine et ses institutions au prisme d’un dispositif filmique unique. Pas d’interviews, aucun commentaire ni musique extradiégétique, montage minutieux sur la base de centaines d’heures de rushes: tout est fait pour que le spectateur s’immerge dans l’environnement scru-té par la caméra de celui qui tourne sans scénario, ni idées préconçues sur son sujet. Au printemps 2022, à l’âge de 92 ans, il est allé filmer la famille Troisgros à Roanne et environs, se glissant non seulement dans les cuisines du trois-étoiles Le Bois sans feuilles et celles du Central et de l’hôtel-restaurant La Colline du Colombier, mais en accompagnant aussi Michel et ses fils César et Léo chez leurs fournisseurs. Le résultat est un film de quatre heures, Menus-Plaisirs. Les Troisgros, qui vient de sortir en salles et rend hommage à la maison fondée en 1930. Dès le plan d’ouverture qui montre la gare de Roanne, en face de laquelle Jean-Baptiste et Marie s’étaient installés au début du XXe siècle, avant que le trois-étoiles ne déménage en 2017 à Ouches, le récit suit le quotidien d’une famille tout entière dévouée à l’hôtellerie-restauration. Une réflexion passionnante sur les écosystèmes locaux, le processus d’élaboration des plats et la profession elle-même, notamment à travers de longues séquences détaillant le travail en cuisine et en salle avec le même ascétisme formel qu’on retrouve dans les assiettes. En filigrane s’esquisse le thème de la transmission, incarné par Michel Troisgros, omniprésent même si César lui a succédé, le regard et les sens toujours aussi affûtés, et qui s’interroge sur son parcours lors d’une conversation impromptue à la toute fin de ce film racontant entre les lignes la perpétuation d’un héritage.
(Patrick Claudet)