Chaque année, des élèves étrangers se forment à Changins. On en a retrouvé un dans ses vignes du Sud de la France.
Pour les Valaisans, le parcours est connu: l’école d’agriculture de Châteauneuf puis Changins. Mais, là, c’est de Châteauneuf-du-Pape qu’il est question... Axel Vacheron est retourné sur ses terres vauclusiennes pour rejoindre sa sœur Marilou et son compagnon, Antoine Robert. Le trio succède à leur mère, Sylvie Vacheron, et à Bruno Gaspard, dans les vignes et en cave. Au Clos du Caillou s’est ajouté, en 2020, le Domaine de Panisse. «Ma mère essayait depuis longtemps d’acheter des vignes ici ou là à Châteauneuf, mais ça n’était jamais possible. Et puis l’opportunité de reprendre tout un domaine, proche du nôtre, s’est présentée: une occasion unique», explique Axel, 29 ans.
Avec, déjà, 45 ha en côtes-du-rhône et 9 ha en châteauneuf-du-pape, la famille avait pensé d’abord intégrer le produit des nouvelles vignes dans l’assortiment existant du Clos du Caillou, soit un apport de 7 ha en châteauneuf et une dizaine en côtes-du-rhône. Pourtant, dès le premier millésime, l’opulent 2020, vinifié dans les caves du Clos du Caillou, ce fut une évidence: «Les terroirs ne sont pas les mêmes. Les vins ont choisi tout seuls. On n’a pas eu besoin de chercher à les différencier», dit Axel.
Le Domaine de Panisse est ainsi devenu le projet de la nouvelle génération. Il est vendu sous sa propre étiquette: un seul assemblage rouge de châteauneuf, Le Mas, à majorité de grenache, complété par de la syrah, du mourvèdre et du vieux cinsault, et un côtes-du-rhône, Le Mazet, fait de grenache et de syrah. Le Clos du Caillou, qui dispose de cuvées parcellaires depuis vingt ans, est donc complété par un autre vin de terroir. Au nord de l’appellation, les terres sablonneuses et de galets roulés sont les plus résistantes à la sécheresse, avec un rendement naturellement bas de 25 hectolitres par ha. A Panisse, comme au Caillou, les vignes sont entourées de forêt ou de lavande, avec une forme préservée de biodiversité. Et si le domaine principal est en bio, mâtinée de biodynamie, depuis le millésime 2010, Panisse achève sa reconversion. A Châteauneuf, le bio a doublé en 15 ans et représente désormais 35 % de l’appellation d’origine contrôlée, soit plus de mille ha (1100).
Ici aussi, le changement climatique se fait sentir. «Avant, nous avions plus de raisin et moins d’excès, de soleil comme de pluie», témoigne Bruno Gaspard, 60 ans. «Entre 1980 et 2000, les raisins étaient mûrs avec un taux d’alcool de 14,5 %. Dès 2003, on a «gagné» 1 à 1,5 % d’alcool. Pour corriger cette tendance, on doit agir dans les vignes.» Pas question de modifier l’encépagement de base: le GSM (comme disent les Australiens), soit le trio grenache-syrah-mourvèdre, «ne devrait pas changer radicalement ces prochaines années», pronostique Axel Vacheron. «On doit aider le végétal à résister, par exemple par des semis et un couvert de paillage. Il faut étudier des porte-greffes plus vigoureux, plus tardifs et plus résistants. On va replanter du carignan et complanter pêle-mêle du mourvèdre avec du grenache. En vinification, on va aller vers de la vendange entière et de la macération carbonique, qu’on pratique déjà sur le cinsault. Ce sont des outils pour garder de la fraîcheur aux vins.» Les 2021 sont les témoins de cette fraîcheur retrouvée, malgré des conditions difficiles, un gel «historique» au printemps puis par des pluies torrentielles aux vendanges.
«La gestion de l’eau est la question clé de Châteauneuf», explique Axel Vacheron. Un sol de sable et d’argile, les safres, permet de retarder les vendanges, parfois: «Chez nous, le 2004 est meilleur que le 2003.» Pour «agir sur les méthodes de culture», le titulaire du Bachelor de Changins, qui a fait des stages chez Louis-Philippe Bovard, à Lavaux, et Mathilde Roux, à Fully (VS), est admiratif du savoir-faire suisse. «La maîtrise du flux de sève est intéressante, de la taille à l’ébourgeonnage. Ici, on ne pratique pas l’ébourgeonnage; on n’en a pas besoin, puisque les rendements sont faibles...»
On est bien dans le Sud, aride et chaud, mais au Clos du Caillou, dans un couloir à mistral, le vent qui dévale la vallée du Rhône, on n’hésite pas à se réclamer d’un «style bourguignon»; Bruno Gaspard rappelle que «dans les millésimes frais, le grenache tire sur le pinot noir».
(Pierre Thomas)