Le palmarès 2024 met en lumière la Catalogne, le Pays basque et l’étonnant Bruno Verjus (Table, Paris). Seul Suisse, Andreas Caminada s’installe au 47e rang.
Après Valence qui accueillait l’an dernier la cérémonie des World’s 50 Best Restaurants, c’était au tour du continent nord-américain et de sa métropole la plus pailletée et festive, Las Vegas, le 5 juin dernier. Entretenant soigneusement le suspense à chacune de ses éditions, l’académie a distillé au cours des dernières semaines les prix spéciaux et autres accessits, ainsi que la liste des viennent ensuite, soit les établissements classés de 51 à 100. On connaissait ainsi déjà l’identité de la meilleure pâtissière du monde (Nina Métayer, Paris), du restaurant le plus durable (Nobelhart & Schmutzig, Berlin), de la meilleure cheffe (Janaina Torres, Sao Paulo) ou des «Champions du changement», récompensés pour leur engagement humanitaire et éthique (Joao Diamante, Rio de Janeiro et Caroline Caporossi/Jessica Rosval, Modène).
La soirée (en l’occurrence, la matinée, pour les spectateurs européens) a dès lors mis en lumière le sommet de cette liste selon l’habituel compte à rebours.
Première (bonne) nouvelle, on retrouve – presque comme à son habitude – Andreas Caminada, unique Helvète du classement, au 47e rang, lui dont le décor romantique – mariant Alpes, château, accueil et cuisine de haut vol («emblématique de la précision suisse ») – convient immanquablement à une expérience féerique.
Le trio de tête? Deux Espagnols et un Français, soit une première avec l’élection d’Oriol Castro, Eduard Xatruch et Mateu Casañas (Disfrutar, Barcelone) Bittor Arguinzoniz (Asador Etxebarri, Atxondo) et Bruno Verjus (Table, Paris).
Avant d’en venir aux élus, on note un palmarès plus panaché que jamais, sautillant de l’Italie (Uliassi, Senigallia) à l’Afrique du Sud (La Colombe, Cape Town) et à la Slovénie d’Ana Ros (Hisa Franko), de Séoul (Mingles) à Lima (Mayta, Kjolle, Maido), Bangkok, Rio, Mexico, Anvers, Berlin, Tokyo. Plus proches géographiquement, l’Arpège parisien d’Alain Passard est 45e, le Berlinois Tim Raue 30e, le Viennois Heinz Reitbauer (Steiereck) 22e et le triple-étoilé parisien Arnaud Donckele (Plénitude) désormais 18e.
Autres figures charismatiques, Riccardo Camanini (Lido 84, Gardone Riviera) le chef mi poète, mi artiste qui réinvente le patrimoine italien est désormais classé douzième. Le devançant de peu, le très médiatique, excentrique, tourbillonnant chef d’origine indienne installé à Bangkok Gaggan Anand remonte au neuvième rang, soit le meilleur classement pour une table asiatique, alors que le dixième est l’Argentin Pablo Rivera (meilleure table d’Amérique latine et titre de Meilleur Sommelier.)
Dans l’ensemble, l’Europe regagne dans cette édition nombre de places d’honneur (cinq tables parmi les dix premières ou sept sur douze); le Nord du Vieux Continent s’effaçant au profit du Sud et de l’ensemble du monde hispanique, à l’exception du Danois Rasmus Munk (Alchemist, Copenhague).
Plus précisément, qui sont les heureux élus? Le trio de Disfrutar, à Barcelone, fait depuis plusieurs années un parcours étincelant: Oriol Castro, Eduard Xatruch et Mateu Casañas sont des anciens d’El Bulli, ultra créatifs, espiègles et techniquement virtuoses. Le nom du lieu même (Disfrutar) appelant à une expérience furieusement jouissive.
L’épatant Bruno Verjus (Table, Paris) a connu de multiples vies avant de s’imposer sur la scène mondiale. (Philippe Vaurès)
Juste derrière les Catalans, le Basque Bittor Arguinzoniz est à l’origine d’un lieu magique perdu dans les montagnes de l’arrière-pays, où le feu omniprésent vient sublimer et métamorphoser les ingrédients les plus humbles. Quant au troisième et presque autodidacte, l’épatant Bruno Verjus (Table, Paris) a pour sa part connu de multiples vies avant d’être ainsi encensé : homme de lettres et journaliste, auteur de L’Art de nourrir, manière de manifeste poétique, tour à tour médecin, entrepreneur, installé en Chine puis aux Etats-Unis, avant de regagner la capitale et de venir déjouer tous les pronostics.
Pour rappel, les gagnants des précédents classements sont désormais inéligibles et accèdent au panthéon des «Best of the Best». Lancé en 2002 par le magazine britannique Restaurant, le World’s 50 Best Restaurants dresse un palmarès de la gastronomie mondiale en s’appuyant sur un cénacle de 1080 jurés internationaux, critiques et restaurateurs, experts, auteurs; l’académie des 50 Best Restaurants, désormais paritaire, est divisée en 27 régions, chacune disposant de 40 voix. Eclipsant Michelin et autres les guides traditionnels, son principal mérite est d’avoir mis en lumière d’autres régions du monde longtemps oubliées, hors d’Europe et des Etats-Unis.
(Véronique Zbinden)