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«Il est indispensable de garantir une alimentation de qualité à chacun»

Le chef et entrepreneur solidaire à l’origine du Refettorio, à Genève, organise le 2e Forum démopratique sur ce droit fondamental.

«La crise est générale dans la restauration, tout le monde le constate à Genève», relève Walter el Nagar, à l’origine du Refettorio, à Genève. (dr)

Walter el Nagar, deux ans et demi après son ouverture, comment va le Refettorio?

L’équipe a connu un important tournus, au Refettorio comme à la Fondation Mater. Pour le Refettorio, nous vivons ce que vivent tous les restaurants en ce moment, avec beaucoup de départs naturels et parfois des gens qui ouvrent ailleurs, comme l’ont fait Romain et Charlotte; ils avaient un rêve qu’ils ont pu réaliser, après m’avoir aidé à réaliser le mien. A la fondation aussi, nous avons des changements, portés par notre volonté de grandir et le besoin de récolter des fonds. Nous sommes aujourd’hui une dizaine, plus une dizaine de bénévoles très engagés, en plus des 300 volontaires réguliers.

Combien de bénéficiaires recevez-vous en moyenne par soir?

Une soixantaine. Depuis l’ouverture du Refettorio, en 2022, le nombre de bénéficiaires des repas gratuits a augmenté de 50 %. En 2023, nous avons nourri près de 10 000 personnes. Nous en étions à quelque 4000 après les quatre premiers mois de 2024.

Qu’est-ce que cela dit de la situation à Genève?

On ne peut pas parler de famine à Genève, mais on voit beaucoup de malnutrition et de précarité. On constate que les gens doivent se battre de plus en plus pour s’en sortir: les familles sont toutes confrontées à des hausses de loyer, l’explosion des primes d’assurances et ne s’en sortent plus ou mal. Et le prix des aliments a aussi explosé. Un kilo d’un bon pain coûte aujourd’hui dix francs, il y a une hausse de 20 % du prix des produits et l’électricité a doublé. Nous avons été obligés de répercuter cette envolée sur nos menus, qui sont passés de 30 à 39 francs.

Comment financez-vous vos activités d’entraide?

L’an passé, nous avons pu compter sur 60 % de financement grâce aux dons et 40 % grâce à la clientèle payante du restaurant. Ce début d’année, c’est plus délicat: on est tombés à une proportion de 80/20.

Recevez-vous de l’argent public?

Cette année, rien du tout. Et le Département de la solidarité et de la cohésion sociale – qui a ses bureaux en face, et que nous avons invités si souvent – n’est jamais venu voir ce que nous faisions au Refettorio en deux ans et demi. Alors que nous en faisons, de la cohésion sociale, ici, chaque soir. Nos événements ont attiré moins de monde et les gens du quartier qui venaient régulièrement manger le midi ont moins d’argent et nous préfèrent Migros pour la pause. En 2023, tout le monde ne parlait que d’inflation, mais aujourd’hui on en voit les résultats, alors même que l’économie est florissante.

Mais vous parlez d’un bon écosystème toutefois?

Notre porte est ouverte tous les jours, même quand les fonctionnaires qui ont congé le 1er mai oublient de distribuer des bons aux bénéficiaires. Nous travaillons avec 52 associations, de Partage au Caré, des aînés aux étudiants, qui sont formidables et nous envoient beaucoup de personnes, mais il n’y a aucune coordination, rien au niveau de la Ville, ce qui est problématique.

Venons-en au Forum Démo-pratique que vous organisez pour la deuxième fois, du 29 au 31 mai: quels résultats avez-vous obtenu l’an dernier et quels sont vos objectifs pour cette édition?

En avril 2023, nous avons réuni 63 experts, locaux et européens, décideurs politiques, ONG et producteurs, pour travailler sur des thèmes précis liés au droit à une alimentation saine et qualitative. Cela a abouti à la rédaction d’un manifeste, que nous avons remis à M. Apothéloz, Conseiller d’Etat genevois, avant de le traduire et de le diffuser largement.


«On ne peut pas parler de famine à Genève mais on voit beaucoup de malnutrition»


Quelles ont été les réactions?

Elles ont été nombreuses, surtout à l’étranger. Premier à réagir, le gouvernement allemand nous a invités à présenter nos propositions au ministère des Affaires étrangères pour une politique contre la faim, en juin dernier. La FAO nous a invités à présenter le manifeste à Rome dans le cadre de la commission pour la sécurité alimentaire, en octobre dernier. Toutes les délégations sont reparties avec leur exemplaire du manifeste. Je suis devenu ambassadeur du Fonds international pour le développement agricole (FIDA) des Nations Unies; le Programme alimentaire mondial et l’OMS ont aussi fait bon accueil au Manifeste, et nous ont demandé d’ajouter un chapitre sur l’allaitement maternel.

Et que prévoit cette deuxième édition du forum?

Lors de la même rencontre de la FAO, à Rome, on nous a suggéré de lancer une initiative pour le droit à l’alimentation sur le modèle de l’initiative citoyenne (ECI) sur l’accès à l’eau. Nous sommes rentrés et nous en avons discuté avec Christophe Golay, coorganisateur du Forum et ancien président de FIAN Suisse, et plusieurs contributeurs de l’ECI sur l’eau. Nous avons alors décidé de lancer notre propre initiative sur le droit à une bonne alimentation pour tous. S’agissant d’une deuxième édition, il nous a été plus facile de convaincre les experts et de faire venir 73 orateurs de haut vol de toute l’Europe, mais aussi d’Egypte ou du Brésil, des représentants du Conseil des droits de l’Homme et du rapporteur sur le droit à l’alimentation.

Vous lancez donc l’initiative européenne sur le droit à l’alimentation lors du Forum, et ensuite?

Ensuite, nous avons un an pour récolter un million de signatures en Europe. Si nous y arrivons, la Commission européenne sera obligée d’en débattre et d’amener le sujet au Parlement, une première, car rien n’existe sur ce sujet en Europe.

(Propos recueillis par Véronique Zbinden)


Davantage d’informations:

opdemge.org