La poésie verticale de dix millésimes bordelais

Château Canon, premier grand cru de Saint-Emilion issu de merlot et de cabernet-franc, propose d’étonnantes variations selon les millésimes.

Une dégustation verticale de dix millésimes de Château Canon, voilà ce que proposaient Les Rencontres Jean-Marc Quarin, le 7juin, au Lausanne Palace. Des nectars ­situés sur un des plus grands terroirs de Saint-Emilion, servis à l’aveugle comme dans un jeu qui demande de ne pas confondre les millésimes. Un défi relevé de main de maître par Pierre-Marie Faure et son équipe de sommellerie.

Une sortie de l’ombre en 2012

Jean-Marc Quarin, critique vivant dans le Bordelais depuis 30 ans, a choisi de présenter les crus non décantés afin de ne pas assouplir la densité des tanins raffinés et éviter de perdre l’aromatique. Le critique présentait en compagnie ­­de Stéphane Bonnasse, directeur technique de cette propriété depuis les années nonante, ce premier grand cru classé, dont les vignes sont regroupées en haut du plateau calcaire. Un Château où beaucoup de choses changent avec l’arrivée du nouveau propriétaire, le groupe de luxe Chanel depuis 1996, qui replante de la vigne et change la densité du vignoble. «Ce qui permet à Château Canon de sortir de l’ombre en 2012», estime Jean-Marc Quarin. Un vin composé le plus souvent à parts égales de merlot et de cabernet franc, ce qui fait penser aux illustres voisins de Cheval Blanc et Ausone par l’originalité de l’assemblage. Le cabernet franc, difficile à cultiver, se ramasse plus tôt que les autres cépages pour éviter sa sucrosité.

«Des étincelles de cristal»

Avant de mettre en bouche le premier vin, Jean-Marc Quarin parle d’une autre particularité qui peut sembler provocatrice: «L’éclat fruité, précis et noble peut faire penser à l’expression du pinot noir bourguignon sur la Côte de Nuits.» Le millésime 2016 permet de comprendre la complexité de Canon et procure une immédiate émotion avec ses beaux arômes de figue, framboise et violette, et ce bras de fer intense entre amertume et acidité. Jean-Marc Quarin ose l’expression «étincelles de cristal en fin de bouche». Juste après, le millésime 2015 part ailleurs avec sa bouche ample de griottes compotées qui ressemble davantage à du velours – un millésime plébiscité sur le marché américain. Un dégustateur amateur expérimenté note des touches marron sur la robe ce qui peut trahir des pertes d’arômes.

Propriété du groupe Chanel depuis 1996, Château Canon a replanté de la vigne et densifié le vignoble, entamant une nouvelle ère à partir de 2012. (photos Dr)

Pour comprendre la qualité du vin, Stéphane Bonnasse évoque un terroir très homogène sur 34 hectares. Château Canon en représente 23, dont 20 sur une parcelle d’un seul tenant. Croix Canon, un second vin élevé de la même manière, mais avec un chai dédié, compose les 11 hectares restants. Le directeur technique accorde une attention particulière à la maturité des raisins: «Je ne pars plus jamais en vacances en août, car je commence à goûter les raisins autour du 5 août. On débute généralement les vendanges mi-septembre. On ramasse les raisins parfois à des moments différents sur une même parcelle, où on peut trouver des variations d’exposition au soleil de deux ou trois degrés.»

Un mois de vendange

Il y a trente ans, les vendanges duraient dix jours. Là, elles se déroulent en un mois pour obtenir plus de finesse. Une main de l’homme, une sensibilité particulièrement intéressante sur des millésimes moyens, comme 2014, qui bousculent leur prétendue austérité avec des arômes de rose, de litchi et une fin de bouche sauvage sur de la cannelle. «A l’aveugle on pourrait penser à un vin blanc et on l’accorderait volontiers avec un turbot», remarque, amusé, Jean-Marc Quarin. Les différences que l’on trouve sur les millésimes 2015 et 2016 peuvent dresser des parallèles avec ce qui arrive en 2018 et en 2019. Cette fois-ci, la rondeur, l’opulence se situent plus sur 2019. Alors que 2018 préserve de la fraîcheur, de la nervosité et libère des arômes de lavande, de rose et de safran. «Je n’ouvrirais pas 2018 avant cet hiver, et je le servirais avec une bonne viande», commente Jean-Marc Quarin.

(Alexandre Caldara)­


Un millésime 2019 impressionnant

Les Rencontres Jean-Marc Quarin proposent également un salon présentant une trentaine de domaines, dont la grande majorité de Bordeaux. Du côté rive droite souvent le millésime 2019 impressionne. A Saint-Emilion, le Château Yon-Figeac propose une bouche de myrtille et impose sa franche amertume. Alors qu’à Pomerol, La Croix de Gay offre une touche de réglisse sur une bouche de groseille et que La Fleur de Gay sur la même charpente se fait encore plus souple en bouche. A Fronsac, au Château Dalem, le millésime 2020, vinifié par Eric Boissenot, sort du lot par son côté floral et fruité. Au chapitre des curiosités, on signalera le premier millésime de Château Villemarine, aux arômes de framboise et à l’acidité franche. Sur la rive gauche, le Château Arnauld 2019 propose une bouche de mûre et un bel équilibre avec sa dominante de cabernet sauvignon à 52 %, 33 % de merlot et 15 % de petit verdot.

Sur un terroir homogène de 34 hectares, Château Canon en compte 23, dont 20 sur une parcelle d’un seul tenant.


Davantage d’informations:

chateaucanon.com

lesrencontresquarin.com