La nouvelle exposition du musée veveysan se veut aussi ludique et interactive que possible, aussi visqueuse et dégueu que nécessaire.
Sous cloche, voici de véritables aliments: gélatine très appréciée au début du XXe siècle, Epoisses à l’affinage avancé ou natto à l’odeur de fermenté appuyée – pour permettre au visiteur d’explorer sa propre palette d’aversions. «La coriandre, par exemple, divise, signe que nos récepteurs olfactifs sont parfaitement dissemblables et que nous n’avons pas la même perception de certains profils aromatiques», explique Nicolas Godinot, un des commissaires de l’exposition. Autre exemple intéressant, l’huître avec sa texture visqueuse, gélatineuse. «Tout ce qui évoque les fluides corporels, ce qui est expulsé du corps, est un des moteurs du dégoût – que l’on songe à la salive, au sang menstruel ou au placenta.» En arrière-plan, l’expo se visite d’ailleurs avec un exquis bruitage de mastication, succion, claquements de dents et autres rots – autant de commentaires appréciés fort différemment selon les cultures.
L’exposition dresse aussi un bar de «Dégoûstation», où une animatrice vous proposera moult délicatesses: caviar d’escargot ou durian, grillon ou prune séchée salée (à l’astringence atrocement répulsive pour la soussignée), ou encore banh pia, ce gâteau viêtnamien de la fête de lune à base de pâte de haricot et du même durian. Les visiteurs les plus audacieux n’hésiteront pas à passer la tête dans la lunette du Schlingomaton pour se faire tirer le portrait à l’instant où ils hument le frais fumet du surströming, fameux hareng fermenté suédois.
Le lieu, l’époque et le contexte ont aussi leur incidence: les flamboyantes natures mortes qui eurent leur heure de gloire au XVIIe, appétissantes et sensuelles, suscitent désormais l’incompréhension, voire la répulsion d’un large pan des publics occidentaux, en particulier lorsqu’elles représentent des poissons entiers ou des gibiers ou bêtes mortes. «La distanciation de l’animalité est telle désormais qu’on n’accepte de manger l’animal que quand on oublie que c’en est un.»
Hier appétissant aujourd’hui répugnant… Un rejet qu’on retrouve chez les autres mammifères, des chats aux grands singes. Brillat Savarin comme Darwin se sont intéressés à son expression. Le dégoût a donc, on l’a vu, un substrat biologique dans le cerveau et psychologique, les deux étant intimement liés. Cette aire du cortex insulaire dédiée au dégoût commande une zone particulière des sourcils et d’autres mécanismes physiologiques spécifiques: sous son effet, le cœur va ralentir, la pupille rétrécir, le corps subir un mouvement de recul.
A l’origine, cette fonction biologique est essentielle pour éviter l’ingestion de substances potentiellement dangereuses. Chez l’homme, le fermenté, le moisi, le dégradé, le putréfié vont générer de manière assez universelle un signal d’alerte, avant que s’y superposent des mécanismes de construction culturelle.
Plus poétique, la visite se conclut sur un orgue à arômes inspiré par le pianocktail de Boris Vian. Chacun y trouvera son bonheur ou son horreur, c’est selon, en passant par les jelly beans (vous prendrez bien un bonbon pêche/vomi?) «Au fond, l’humain adore se faire peur avec des films d’horreur, tout comme il adore jouer sur les notes du dégoût», conclut Nicolas Godinot.
(Véronique Zbinden)
Davantage d’informations: www.alimentarium.org