C’est d’abord une cuisine délicieuse, énergisante, sous le signe du yin et du yang. Le hanshik coréen déferle sur le monde et sur la Suisse, boosté par une politique volontariste et conquérante.
Non, la Corée n’a pas apporté que le gangnam style et l’électronique de pointe à l’Occident. On le subodorait depuis quelque temps, les experts ès tendances le confirment désormais à l’unisson: le bibimpap et le kimchi, deux plats coréens emblématiques, sont en passe de conquérir le monde. La Suisse recense en tous les cas une vingtaine de restaurants coréens – dont la moitié entre Genève et Lausanne – selon l’ambassade de Corée du Sud à Berne, pour une micro-communauté de 4000 résidents. Si les premières enseignes semblaient martiennes, notamment la Maison de Corée, ouverte rue des Corps-Saints à Genève voici une vingtaine d’années, les suivantes ont fleuri un peu partout ces dernières années, des organisations internationales à la rive gauche. On va désormais se concocter son propre barbecue au Gaya, derrière la fameuse sphère de la Sainte-Trinité, ou au Séoul, déjeuner sur le pouce au Bap, tout près de la gare, ou s’attabler devant un dolsot brûlant ou une étonnante crêpe aux haricots mungo et fougères des Alpes au Kimchi.
du hanshik, la cuisine coréenne, pourraient s’énoncer ainsi. D’abord, une grande diversité, inversement proportionnelle aux dimensions de cette moitié de péninsule. Ensuite, des saveurs relevées, sous le signe du yin et du yang: des pâtes pimentées et de l’ail en pagaille (oui, les Coréens détiennent le record mondial de consommation d’ail) et néanmoins une grande subtilité. Pour Pascal Barbot, chef triplement étoilé de l’Astrance à Paris et grand fan de la cuisine coréenne, celle-ci n’est pas séduisante d’emblée mais «ses techniques rendent le résultat subtil et d’une grande rondeur: de simples feuilles sauvages, des légumes a priori plutôt ingrats deviennent élégants grâce à l’ail, au soja, aux assaisonnements qui donnent du relief, servent de détonateurs». Ail, piment, fermentation: le kimchi et autres pickles sont aussi omniprésents.
Le kimchi? A l’origine, voici plus de 1500 ans, une façon de conserver les légumes (chou, mais aussi radis blanc, carotte, concombre, courge, etc.) et de stocker des vitamines pour l’hiver grâce à la fermentation lactique. Incontournable, il intervient dans de multiples apprêts – soupes, raviolis, crêpes, galettes, nouilles – identitaire au point qu’on l’a inscrit au patrimoine immatériel de l’Unesco. Au centre de la table, le bap, le riz, invitation à tous les mélanges: le suffixe bibim (mélanger) donne naissance à cet autre plat phare qu’est le bibimbap (riz et légumes, viandes, œuf…). Le bulgogi ou l’art du barbecue aussi, décliné avec des viandes, poissons et fruits de mer formidables, des marinades d’enfer. Mais encore? Des nouilles, chaudes, froides, en soupe, à base de farine de blé, de sarrasin ou de patate douce.
lausannois Arirang, Nami Meyer Lee constate un grand intérêt pour sa culture et sa cuisine. «Voici quelques années, les questions de nos visiteurs ne portaient que sur les aspects politiques, la division entre Nord et Sud; aujourd’hui, c’est un pays qui bouge énormément et qui fascine les jeunes, grâce à la K-pop et toute sa culture. Souvent, ils viennent chez nous à la veille d’un voyage et je joue les offices du tourisme coréen.»
L’aspect santé n’est pas étranger à cet engouement récent. Les bienfaits de la fermentation et celles du kimchi ont été remis en lumière par la recherche et de nombreuses publications ces dernières années. La patronne du dernier-né des restaurants coréens, le Kimchi, rue de Carouge, Suki (diminutif de Eunsuk) est très sensible à la qualité et à la fraîcheur des plats. Cette ancienne étudiante en lettres anglaises et françaises de Gwangju va jusqu’à cueillir elle-même dans la campagne genevoise, en saison, les fruits du gingko, les pousses de fougères, l’ail des ours ou le pissenlit. De même, le tofu est préparé maison par ses deux cuisinières: «Impossible de manger celui qu’on trouve ici, commente Suki. Vous sentez la différence?»
Dans l’arrière-boutique, peu avant le service du soir, c’est aussi le moment où l’on confectionne les mandoo (ou mandus). Autre trend récent, ce petit ravioli suscite un incroyable engouement à New York et dans de nombreuses métropoles où des adresses dédiées ont essaimé. A Paris dernièrement, le Mandoobar, adresse étonnante dans le VIIIe, confectionne toutes ses recettes maison, selon diverses déclinaisons: kimchi et tofu, porc, ciboule, sésame, etc. A Genève, nos deux cuisinières du Kimchi Sarnai et Zula garnissent chaque disque de pâte de blé d’une cuillerée de farce à base de crevettes, courgettes, ciboule, le replient et enduisent le pourtour de blanc d’œuf avant de coller les bords, de le replier et d’empaqueter le tout en un parfait petit ravioli, à cuire à la vapeur.
Installée en Suisse depuis près de vingt ans, Suki fréquente beaucoup les festivals et s’étonnait de ne jamais y trouver de stand coréen: «C’est une cuisine extra, j’ai trouvé ça dommage et ça m’a donné envie d’ouvrir mon propre restaurant.» Le succès de cette cuisine doit beaucoup à sa diversité, notent les chefs installés en Suisse. La clientèle de Nami Meyer Lee craque pour le samgyetang, «plat magique idéal pour l’été, à tester absolument». Mais encore? Il s’agit d’un coquelet cuit à la vapeur, farci de gingembre et de ginseng notamment. Le bulgogi et les chapchae, ces nouilles de patate douce sautées aux légumes, sont d’autres hits. Au Kimchi, le bibimbap et les mandoos sont plébiscités par des clients qui font preuve de curiosité; les végétariens sont également comblés.
On mentionnera aussi la vaste offensive gastro-diplomatique lancée par Séoul ces dernières années pour conquérir les palais occidentaux. Le pays du matin calme souffrait d’un déficit d’image à l’étranger. En avril 2009, un programme baptisé Global Hanshik est lancé. Il vise à promouvoir l’image du pays à travers sa cuisine. Le gouvernement de Séoul aurait investi plus de 40 millions de dollars, voire davantage, selon les sources, pour faire du bibimbap une arme fatale de soft power. Des Foodtrucks aux couleurs nationales ont ainsi sillonné les grandes villes des Etats-Unis, Londres et Tokyo. Des écrans géants ont ébloui Times Square, un ouvrage a été publié en collaboration avec le Cordon Bleu à la gloire du bibimbap. Sans oublier la création d’un institut national du Kimchi.
Dans le prolongement de cette campagne, on prévoit aussi l’ouverture de plusieurs milliers de nouvelles enseignes coréennes à l’étranger ces prochaines années. Et la Suisse? Elle n’est pas oubliée puisqu’il s’y tiendra, en novembre, un événement gastronomique coorganisé par l’ambassade de Corée du Sud et l’association Suisse-Corée.
Véronique Zbinden
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