Première suisse en termes d’encouragement à la biodiversité et au développement durable: la troisième commune viticole vaudoise convertit collectivement ses 150 ha au «vert».
Pour monter «Yvorne grandeur nature», un slogan trouvé par feu Michel Logoz, le grand communicateur du vin suisse, disparu cet hiver à un âge vénérable, il a fallu plusieurs ingrédients. D’abord, l’énergie de Philippe Gex, ancien syndic — «pas forcément un atout», dit-il —, mais qui sait convaincre du fond de son carnotzet. Ensuite, une caution scientifique, trouvée auprès de la Haute Ecole de Changins. Une scientifique, qui a déjà élaboré le cahier des charges, suivra le dossier durant cinq ans, en plus de travaux ponctuels de Bachelors (deux sont en cours). Enfin, une aide financière extérieure. En vendant son domaine à André Hoffmann, un des hommes les plus riches de Suisse, qui tire ses revenus de la chimie bâloise, dont il est héritier, mais aussi fils d’un des hommes clés du WWF, convaincu par l’urgence de sauver la planète d’un désastre écologique, Philippe Gex a réussi à obtenir l’argent nécessaire pour mener à bien le laboratoire d’Yvorne. La fondation MAVA engagera 680 00 francs sur cinq ans. Cette somme devrait permettre, de surcroît, de lever des fonds étatiques.
Il n’en coûtera donc rien aux vignerons, sinon une remise en question de leur travail. Ils ne toucheront pas, non plus, de financement direct, sinon par le système en vigueur, qui favorise modestement l’encouragement à la biodiversité. Dans le terrain, les vignerons devront répondre, «tous ensemble», à des critères évolutifs en trois paliers, résumés dans un catalogue de 22 mesures réparties en huit chapitres. Le plus visible, c’est l’enherbement du vignoble, qui implique le respect de critères pour la gestion du sol, sa fertilisation et la protection des eaux.
Sur la base d’un inventaire réalisé par le biologiste et vigneron d’Aigle Raymond Delarze, il s’agira de protéger les plantes et d’encourager la biodiversité, en ramenant la vie dans la monoculture viticole, par la création d’îlots. «On a fait le contraire, il y a 40 ans», constate Jean-Daniel Suardet, le responsable de la viticulture des domaines du groupe Schenk et «châtelain» de Maison-Blanche. On plantera aussi en lisière de vignobles les nouveaux cépages résistants, que sont le divico (rouge) et les blancs divona, élaboré à Agroscope, et floréal, une obtention de l’INRA français, doublement résistants au mildiou et à l’oidium. Les travaux des étudiants de Changins permettront de faire un bilan étayé par des constats de terrain à chaque étape. On vérifiera ainsi d’ici trois ans les impacts sur la biodiversité.
Si l’espoir de gagner en qualité par une réduction des rendements –plutôt que de couper du raisin, on en produira naturellement moins! –, les réticences liées à la prise de risque par les vignerons ont été vaincues. Le chasselas (77 % de la surface d’Yvorne) n’est pas facile à conduire en bio, à la vigne, comme en cave. Mais 60 propriétaires de vignes, représentant 130 des 150 ha d’Yvorne, ont adhéré à l’association «Yvorne, grandeur nature». La coopérative des Artisans d’Yvorne (AVY) ne s’est pas engagée institutionnellement, mais les propriétaires de 40 des 50 ha qu’elle vinifie ont adhéré au projet, assure Marco Mayencourt, son président. Et la totalité de l’encavage du négoce, avec Schenk, dont Obrist et Badoux, et Hammel, est acquise à la démarche.
Avec ses lieux-dits reconnus comme terroirs d’exception que sont l’Ovaille et le Clos de la George, Yvorne est un des fers de lance des vins vaudois. Quatre de ses chasselas, tous cultivés en gobelet, ont obtenu la mention de 1er Grand Cru: les Ovaille du Domaine Deladoey (2,3 ha) et de Hammel (2 ha), le Clos de l’Abbaye, de la Commune (1,3 ha), et le Clos de la George (2,5 ha), de Hammel. Et le Château Maison-Blanche fait partie de la Mémoire des vins suisses. Quant à Philippe Gex, il vient de racheter les vignes (2,7 ha) d’Anne Müller, pionnière du bio et de la biodynamie, qui vient de renoncer à «sa passion». Le président de «Yvorne, grandeur nature» n’exclut pas de revendiquer, à la lumière de l’évolution de la législation vaudoise, le titre d’AOC Grand Cru, à l’égal du Dézaley et du Calamin, ni ouillé, ni coupé, alors qu’une partie des vins d’Yvorne sont toujours vendus en AOC Chablais, et pas en grand cru.
A terme, dans cinq ans, les vins d’Yvorne seront-ils meilleurs? Personne n’a encore osé poser la question. Il faudra bien y répondre. Les concours, nationaux et internationaux, pourront y aider. Au Concours Mondial de Bruxelles, à Cosenza, en Calabre, fin mai, le titre de «révélation bio» a été attribué à un cornalin, cépage emblématique valaisan, millésime 2018, d’un petit producteur, Daniel Etter, la Cave Boléro, à Savièse, labellisé Bio bourgeon. De bon augure!
(Pierre Thomas)