Les sept îles au large de Naples et de Messine ont été baptisées par les Grecs du nom de leur dieu du vent, Eole. Des vents qui dissipent les maladies des ceps, plantés sur terrain volcanique.
L’exotisme est à portée d’alyscaphes, ces bateaux qui fendent les flots sur des ailes de métal au départ de Milazzo. Classées depuis 2000 au patrimoine de l’Unesco, les îles Eoliennes accueillent des touristes par vagues successives. C’est qu’elles possèdent un charme indéniable, mi-grec encore, mi-sicilien déjà.
Le «disciplinaire» de la DOC Malvasia delle Lipari souligne le rôle de «quelques lumineux producteurs», qu’on traduit en italien par illuminati. Pas besoin de faire un dessin: il fallait oser le pari d’une renaissance sur ces îles. Parmi eux, l’architecte Carlo Hauner, de Brescia (nord de l’Italie). Son fils, Carlo junior, 68 ans, prêt à passer le témoin à l’un de ses fils, Andrea, 40 ans, œnologue et sommelier, rappelle que son père était tombé amoureux de Lipari il y a 60 ans. Huit ans plus tard, il sortait sa première bouteille de malvoisie. Et c’est le fameux critique Luigi Veronelli, qui, en 1974, mit sa malvoisie en lumière. La cave fut construite en 1980, puis son fils ferma le studio d’architecture de Brescia en 1998, pour s’installer à Salina.
Ornées d’étiquettes tracées de la main du fondateur, ses bouteilles figurent dans toutes les œnothèques d’Italie et l’exportation représente 30 %. Le domaine produit 140 000 bouteilles, dont 35 000 de malvoisie. Celle-ci n’est cultivée qu’à Salina, sur 10 ha, là où se concentrent encore 80 % du vignoble des Eoliennes. Mais, à Vulcano, sur 14 ha, Carlo Hauner a développé un important projet où, dit-il, le terrain et le climat sont similaires à l’Etna, la région viticole sicilienne qui fait fureur aujourd’hui. Au contraire de Salina, où tout doit se faire à la main, le vignoble y est mécanisé. Le sol, riche et volcanique, convient aux cépages rouges, comme l’alicante bouschet, le nero d’avola, et la nocera, variété locale, cultivée du côté de Messine, et même le sangiovese. Des trois premiers, Hauner tire un rouge corsé, Hierà (le nom grec de Vulcano, en IGP Sicilia), aux notes sudistes, et avec le sangiovese, le calabrese et le corinto nero, un Rosso Antonello (en IGT Salina) aux accents toscans, avec une touche boisée.
Sur l’île de Lipari, la plus grande cave, construite en 2009, dans un puits taillé dans les couches de sable volcanique qui amène l’air de la mer, la Tenuta di Castellaro, produit 70 000 bouteilles, tirée de 16 ha. Sur les hauts de la capitale des îles, Lipari (7000 habitants), le vaste bar-terrasse, qui sert la dizaine de vins du domaine, s’ouvre sur les vignes, avec la mer à l’infini, orienté soleil couchant.
A 40 ans, son propriétaire, Massimo Lentsch, a décidé de changer de vie. Cet entrepreneur de Bergame est devenu vigneron, d’abord à Lipari, puis à Randazzo, sur l’Etna, sur le domaine de 12 ha qui porte son nom; 70 % des vins sont exportés. A Lipari, Lentsch mise aussi sur le rouge, notamment le corinto nero, dans une œuvre de réhabilitation du plus ancien cépage, d’origine grecque, cultivé sur les îles. Ses crus, qui ont bénéficié des conseils de Salvo Foti, emblématique œnologue sicilien, puis du consultant Emiliano Falsini (Graci, Girolamo Russo, Maugeri sur l’Etna), sont résolument modernes. Dernière nouveauté: une malvoisie sèche élevée en amphore.
Car, face au relatif désamour des Italiens pour les vins doux – les éternelles questions: quand et avec quoi les boire? – on produit des vins secs à base de malvoisie en IGT Salina seulement depuis les années 1990. Dans son petit domaine de Vulcano, face à la Sicile, le président du Consorzio insulaire, Mauro Pollastri, qui est aussi agent de voyage à Milan, en propose une aux notes exotiques, fraîche et agréable, sans fermentation malolactique, tirée à 6000 bouteilles, soit le double de volume de son liquoreux traditionnel.
C’est sur le même coteau en forte pente que la famille sicilienne Tasca d’Almerita a «récupéré» en 2018 les 4,5 ha de la Vigna di Paola, propriété d’une Palermitaine. Elle donne un vin d’une belle fraîcheur, à la finale saline. Ce cru complète les vins de leur paradisiaque Tenuta Capofaro, face au Stromboli, sur l’île de Salina. Le domaine viticole, les pieds dans la mer Tyrrhénienne, est assorti d’un Relais & Châteaux dans des bungalows d’un ancien camp de vacances ... de luxe. Ce grand producteur amène la vendange des îles éoliennes en camion frigorifique, embarqué sur un ferry, dans les caves de Regaleali, au cœur de la Sicile. Il propose aussi son Didyme (le nom grec de Salina), tiré de 9 ha sur deux parcelles, à Capofaro et dans le verdoyant Val di Chiesa, une malvoisie sèche vive, citronnée, d’un bon volume, avec une note d’amande en finale. S’y ajoute, en IGT Salina aussi, une malvoisie surmaturée, sans la mention DOC Malvasia delle Lipari, car elle n’est ni séchée en septembre au soleil sur des tiges de bois (canizzi), mais «à l’ombre», en cagette, ni vinifiée sur l’île, mais en Sicile.
En outre, «Malvasia delle Lipari» est à la limite de la règle européenne qui veut qu’une appellation d’origine contrôlée ne puisse pas être le synonyme d’un cépage. Sans compter que le vin n’est que rarement vinifié à Lipari ... mais les îles portent en italien les deux noms, «Eolie» ou «Lipari». La législation devrait changer prochainement, promet le Consorzio, avec une hiérarchie d’«IGT éolienne» qui s’étendrait à tous les vins insulaires, blanc, rouge, rosé et même mousseux, avec en sous-titre l’île d’où provient le raisin. La DOC Malvasia delle Lipari subsisterait toutefois.
(Pierre Thomas)
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