Chef pâtissier exécutif de l’Ecole Nationale Supérieure de Pâtisserie d’Alain Ducasse (ENSP), Luc Debove évoque son parcours.
Luc Debove, vous êtes LA référence de la glacerie et de la sculpture sur glace. Vous êtes aussi le chef pâtissier exécutif de l’ENSP, comment est née votre vocation?
Je viens d’une vieille famille italienne, immigrée à l’époque où Nice était piémontaise, au XIXe siècle. Une famille de boulangers d’un village pauvre qui a dû s’expatrier pour survivre. J’ai été élevé par mes grands-parents dans cette histoire familiale et ce mythe, qui a assurément contribué à la naissance de ma vocation. Les dégustations de glaces l’été m’ont aussi affiné le palais, mais mes parents ne voyaient pas mon choix d’un bon œil: j’ai dû ferrailler pour les convaincre.
Et avant la glace, la pâtisserie?
Je quitte l’école à 16 ans pour entrer en apprentissage. Le brevet de maîtrise se faisait en cours du soir après le travail et il fallait justifier de cinq ans de métier. Une formation exigeante, avec des cours de psycho, pédagogie, gestion, culture générale. Nous étions 26 pour la région PACA et deux à le réussir, et nous sommes devenus MOF tous les deux. Là-dessus, j’ai voulu évoluer à travers les concours: c’est une adrénaline qui fait qu’on en veut toujours plus, comme n’importe quel sport. Après Nice, où j’ai eu la chance que mes employeurs croient en moi et m’aident à financer mes concours et mes études, je suis parti comme chef au Méridien Beach Plaza de Monaco.
Ensuite est arrivée la glace, de manière un peu détournée?
C’était au tout début de ma carrière: le Festival de Cannes cherchait des animations et m’a demandé si je savais sculpter la glace. Ça m’a fait tilt. Et de fil en aiguille, les concours de sculpture sur glace imposant de faire aussi des glaces alimentaires, je me suis pris de passion. Il faut savoir que cet art date de la Renaissance: pour refroidir les mets, on mettait de la glace sur les tables et on s’est aperçu qu’en travaillant la glace, cela rendait les buffets plus esthétiques. De même, les pièces en sucre datent de la Renaissance, mais c’est sous Napoléon III que la sculpture sur glace a véritablement explosé: il voulait que le monde ait les yeux tournés vers la France et a fait des Expos universelles avec des buffets à thèmes. Il fallait que la France brille de mille feux, notamment pour sa cuisine, mais aussi pour ses réalisations en glace. C’est l’origine de l’omelette norvégienne, ainsi nommée car elle a été créée au pavillon norvégien de l’Expo universelle.
Vous avez réalisé quelques glaces vraiment étonnantes?
Oui, par exemple la glace au durian: pour supporter l’odeur, j’ai dû travailler avec des sticks mentholés dans le nez. Ou alors gorgonzola-réglisse, très bon si c’est équilibré. Pour le concours des MOF, il fallait réaliser 24 parfums, mais aussi des mets glacés, des coupes et une pléiade de préparations. J’avais notamment créé une glace quatre en un. Caramel, café, badiane: un seul parfum réuni mais avec un séquençage des goûts, en la mangeant vous sentiez d’abord le caramel, puis le café et enfin la badiane, un séquençage qu’on retrouvait en sens inverse avec la rétroperception.
Une autre glace mémorable?
Peut-être le sorbet pistache. Cela paraît classique mais il faut savoir que la pistache contient 64% de gras. La crème glacée apporte une note lactique qui accentue ce côté gras. L’idée du sorbet est au contraire de mettre en avant le côté fruit, apéritif et léger qu’ont les pistaches à l’apéritif. Le plus simple en apparence se révèle souvent le plus compliqué. Mais je dis toujours qu’on n’invente rien. On ne fait qu’interpréter les produits à la lumière de l’époque. Je suis d’ailleurs passionné de livres anciens – une grande source d’inspiration.
(Propos recueillis par Véronique Zbinden)
Créée par Alain Ducasse et Yves Thuriès, l’ENSP fait partie du groupe franco-suisse Sommet Education. Elle est située à Yssingeaux, charmante sous-préfecture de la Haute-Loire, et propose plusieurs filières, qui vont du CAP au Bachelor, en passant par des ateliers de perfectionnement, master class et reconversions. Agés de 18 à 60 ans, les étudiants sont en temps normal 300 environ, originaires du monde entier.