Une boulangerie française, située à Arequipa, au sud du Pérou, permet d’offrir une éducation aux enfants du bidonville alento.
«Petits pains frais du matin», entonne Fanny Queral d’une voix douce. Elle arbore son plus joli sourire. Depuis un mois déjà, cette trentenaire, originaire de Montpellier (France), travaille comme bénévole pour l’association Rayo de Sol (Rayon de soleil) en vendant des pâtisseries françaises dans les rues d’Arequipa, ville coloniale située au sud du Pérou.
Fanny s’approche de deux Péruviens, en pleine discussion sur le trottoir, pour leur proposer les spécialités qui remplissent son panier. Des petits pains, des croissants, des pains au chocolat, des torsades ou encore des croissants au manjar (une crème de lait, spécialité locale). Leur prix? Il varie entre 1 et 2,50 sols, soit entre 30 et 75 centimes. La jeune femme prend le temps de parler avec les acheteurs potentiels, mais essaie surtout de leur faire comprendre le but de cette action. La vente permet d’offrir une éducation aux enfants du quartier défavorisé d’Alto Cayma, au nord d’Arequipa. «D’accord, je t’en prends deux», concède le client.
«Il faut y aller, il ne faut pas avoir peur pour faire cela», raconte Fanny. Ce matin, elle effectue la tournée des auberges, un circuit défini, comprenant des établissements avec lesquels l’association dispose d’un accord. Mais chaque occasion est bonne pour vendre, ainsi elle n’hésite pas à aborder les passants qu’elle croise en chemin. «Ce sont majoritairement des Péruviens qui achètent, les touristes sont méfiants», constate-t-elle. Son panier se vide, pourtant, sa journée ne se terminera que lorsque les 600 à 700 pièces confectionnées auront été écoulées par l’équipe de dix bénévoles. En moyenne, ils auront parcouru entre 7 et 8 kilomètres chacun.
À quelques rues de là, au numéro 205 de la Calle Sucre, se trouve depuis peu le nouveau magasin et café de Rayo de Sol. Son ouverture, notamment, a permis de doubler le chiffre d’affaires. Le logo coloré de l’association frappe l’œil. Peintes en grand sur le mur du fond, ces empreintes de mains d’enfants, dont la position esquisse les contours d’un soleil, donnent au lieu une atmosphère accueillante. De grandes photos, placardées sur les autres murs, documentent les activités de l’association. Elles sont encadrées de mots significatifs: Pan, Volontarios, Niños…
Il s’agit de montrer que l’intégralité des bénéfices est réinjectée directement dans l’école, que ce soit pour financer la construction des locaux, le matériel pédagogique ou pour payer le personnel d’encadrement, constitué entièrement de Péruviens.
C’est ici que Fanny va régulièrement se réapprovisionner. À son arrivée, la petite enseigne est relativement pleine. Une ambiance amicale y règne et les clients attablés prennent le temps d’échanger, sur fond de musique latine. Déjà, les vendeurs pointent quelques habitués, alors que des jeunes du collège voisin profitent de leur pause pour se procurer une douceur.
Il faut dire qu’en douze ans l’association s’est bien développée. Le projet remonte à 1999, lorsque la Lyonnaise fraîchement retraitée Marie-France Coudurier, partie pour un tour du monde de dix mois, séjourne plusieurs semaines à Alto Cayma. Elle y découvre la misère des familles. «En les quittant, je leur ai fait la promesse de revenir construire une cantine et une crèche», se remémore-t-elle.
Le plus grand besoin était alimentaire. Les dons qu’elle récolte à son retour permettent d’assurer dès 2004 un repas par jour à cinquante enfants, dans un local prêté par la mairie. Quelques années plus tard, ils construisent leurs propres locaux, puis une crèche. En 2010, un second bâtiment voit le jour, abritant une boulangerie, qui offre à l’association un début d’autonomie financière. Au fil des années, le bidonville aussi a changé. De nouvelles nécessités sont apparues.
Aujourd’hui, quelques routes quadrillent le quartier, désormais alimenté en eau et électricité. Les activités de Rayo de Sol sont devenues plus éducatives que nourricières. Le jardin d’enfants accueille actuellement vingt-cinq petits péruviens de deux et trois ans. L’un d’eux pleure, ne pouvant se détacher de sa mère. Deux autres se tiennent à califourchon sur une voiture en plastique. Pour 15 symboliques sols (5 francs) par semaine, soit le prix des repas seulement, les parents ont l’assurance que leurs petits seront encadrés durant toute la matinée, rythmée par différentes activités éducatives. Parmi eux, beaucoup de mères célibataires, dont le compagnon n’a pas voulu reconnaître sa progéniture.
Celles qui travaillent peuvent même compter sur les éducateurs de Rayo de Sol jusqu’à 18 heures. L’après-midi, des collégiens investissent les lieux, disposant ici d’une aide au devoir.
Et pendant ce temps, Daniel Mahieux, 71 ans, boulanger parisien à la retraite, se remet déjà aux fourneaux pour préparer les petits pains du lendemain. Il terminera à 3 heures du matin, dormira un peu, puis arpentera lui aussi les rues, muni de son panier et de son chapeau à l’inscription Le boulanger, c’est mon copain. Une vie très différente pour celui qui possédait dans le passé son propre grand magasin. Et pourtant… «Je suis venu et ça m’a plu alors je reviens chaque année durant six mois, la durée que permet mon visa», relate-t-il, ne comptant plus ses séjours.
Et à chaque retour, les lieux arborent quelques changements, sous l’impulsion de nouveaux volontaires motivés, comme Mickael Depoix, français de 38 ans qui travaille dans l’ingénierie de projets de développement depuis longtemps. Depuis six mois qu’il est présent pour coordonner l’association, mais également assurer de la régularité et de la rigueur dans les activités, il a apporté beaucoup de dynamisme, permettant au projet de continuer d’évoluer. Mickael s’attelle à la création d’une bibliothèque. «Je souhaite que ce lieu devienne un centre culturel et social, pour sortir les habitants de leur routine», explique-t-il en montrant ce qui l’a occupé ces derniers temps, en plus de la gestion des opérations. Les images de synthèses révèlent une salle chaleureuse. Le Petit Prince orne les murs. «Mais pour cela, il ne faut pas aimer dormir.» Un avis apparemment partagé par le boulanger.
Sandra Hildebrandt