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Que mangerons-nous en 2049? Scénarios

La science-fiction d’hier, les auteurs, les cinéastes et la culture populaire ont fantasmé la nourriture de l’avenir, entre peurs et espoirs.

  • Parmi les fantasmes explorés par l’exposition, celui récurrent de l’aliment unique, qu’il se présente sous forme de pilule, boisson ou cracker. (Elsa Mesot)
  • L’exposition à découvrir à l’Alimentarium s’articule autour de quatre axes. (DR)

Dans les années 1960, une émission de la BBC aborde la question de la croissance de la population et des défis alimentaires qui semblent, alors, insurmontables. Trois milliards de Terriens à nourrir, demain six milliards, comment faire? La solution esquissée passe alors par le triomphe d’une agriculture productiviste, voire l’invention de repas survitaminés. Les termes de la question ne semblent guère avoir changé, hormis les chiffres, plus effrayants encore, mais les atteintes à l’environnement, à la biodiversité, ne sont pas prises en compte. C’est un des moments qu’évoque la nouvelle exposition de l’Alimentarium FOOD2049 – titre en clin d’œil au récent film Blade Runner 2049.

A quoi sert le rituel du repas?

Comment mangerons-nous en 2049? Après les dégoûts alimentaires et le véganisme, l’Alimentarium explore l’univers a priori plus ludique de la science-fiction. Les romans d’anticipation, le cinéma, la culture populaire ont donné des couleurs et des formes à l’alimentation du futur et le musée veveysan les fait dialoguer avec l’actualité. Un objet un brin désuet interpelle d’emblée le visiteur avec cette première question liée aux arts de la table. Une ménagère ancienne (soit l’ensemble de couverts de table renfermés dans une petite mallette) questionne la notion de commensalité: à quoi sert-il de manger encore ensemble?

Un des pères de la SF Hugo Gernsback apporte une première réponse tranchée dans Ralph 124C 41+, suggérant que l’homme serait parfaitement heureux s’il se contentait d’absorber des aliments semi-liquides grâce à un distributeur, évitant l’effort de la mastication et du babil social. Dans les «Scienticafés», des convives bien calés dans leurs fauteuils de cuir seraient alimentés via des tubes, accédant enfin aux véritables plaisirs de bouche. Une chromolithographie de 1930 évoque une idée cousine avec une drôle de machine à repas (Essmachine), dont les bras tentaculaires s’agitent pour gaver deux bambocheurs se faisant face, leur plastron soigneusement protégé par un bavoir.

Ces projections datant pour l’essentiel des XIXe et XXe siècles peuvent paraître anecdotiques ou saugrenues, futées, voire visionnaires. Certaines relèvent carrément de la dinguerie. A l’heure de l’expansion de l’Allemagne nazie, un ingénieur songe ainsi à assécher la Méditerranée pour gagner des terres et nourrir le bloc des pays alliés. Sous le regard austère des pionniers de Nestlé, inventeurs du légume déshydraté et de la bouteille thermos, le thème n’en prend que plus de sel. La SF et nos devanciers ont inventé 36 façons de casser la graine, dans un futur plus ou moins proche: nostalgiques ou souriantes, effrayantes ou prémonitoires.

Solutions imaginaires ou réelles

L’exposition s’articule autour de quatre axes. Le Scienticafé évoque la perspective pour l’humanité de se voir libérer de tout effort par la machine, jusqu’au geste de porter l’aliment à sa bouche. Cybercocagne est l’espace où l’intelligence artificielle laisse entrevoir un avenir entièrement robotisé. Le thème de l’aliment unique, autre vieille lune, a été perçu tour à tour comme une solution qui libère ou comme le repoussoir ultime. Enfin, les Nouvelles Terres viennent clore le parcours en recensant diverses solutions, imaginaires ou réelles, pour garantir la sécurité alimentaire de l’humanité face aux défis multiples que représentent la démographie, le climat, les pandémies.

Au XVIe siècle déjà, le philosophe et auteur de L’Utopie Thomas More fantasme un pays imaginaire où les citoyens seraient libérés de la corvée de préparer à manger: dans sa cuisine parfaite sont toutefois relégués les femmes et les esclaves… On a vu mieux. Par exemple dans les années 1950, qui connaissent l’avènement des premières smart kitchens américaines, répondant à nos moindres désirs et exécutant nos ordres. La ménagère pulpeuse de la pub n’a plus qu’à passer son maillot de bain pour aller à la plage. Autre univers, celui de la série Star Trek, dès les années 1980, dont le réplicateur produit les molécules nécessaires à couvrir tous les besoins, mettant un terme à l’exploitation animale et à la faim. C’est au XXIVe siècle, on repassera.

La fin du XIXe et le début du XXe ont vu naître de nombreuses utopies, suivies par des visions plus sombres, entre peurs et espoirs, d’effondrement d’un monde et de la pseudo trouvaille de l’aliment unique: pilule, boisson, poudre, ration de survie. L’idée est très présente dans le cinéma notamment, des crackers de Soleil vert (Richard Fleischer, 1973) à THX 1138 (George Lucas, 1971), de Brazil (Terry Gilliam, 1985) avec ses plats numérotés au film Woody et les Robots (Woody Allen, 1973).

On oscille ainsi entre une vision souriante du progrès, censé libérer l’humanité de ses corvées, et le rappel de nos cauchemars les plus actuels, la perte de diversité synonyme de tous les dangers. Prémonitoires parfois, les années 1950 et 60 ont accouché d’innombrables gadgets, tel ce prototype de la cuisine américaine idéale selon Whirlpool pour l’Expo nationale de Moscou, en 1959. Elles trouvent un écho avec la pizzeria automatisée et le bar à cocktails 100 % autonome, qui existent bel et bien, ultimes avatars de cette utopie-là.

(Véronique Zbinden)


Davantage d’informations:

alimentarium.org/fr