La Distillerie Wanner à Couvet (NE) participera le 10 juin à Absinthe en fête. Portrait d’un fils de distillateur qui a exercé plusieurs métiers avant de reprendre l’entreprise familiale.
On l’a connu journaliste, quand il était le jeune confrère d’une publication concurrente, encore que le terme soit assez peu adapté à la réalité du microcosme de l’hôtellerie-restauration helvétique, qui compte trois titres historiques relativement complémentaires. Par la suite, on l’a vu se tourner vers la presse grand public, intégrant le groupe Tamedia, tout en assurant la communication de plusieurs événements d’envergure, dont la Sélection suisse du Bocuse d’Or et le Cuisinier d’Or, qui a désigné lundi le successeur de Paul Cabayé. Et pour être tout à fait honnête, on n’avait pas vraiment senti venir sa reconversion professionnelle, formalisée l’an dernier, au moment où il a repris officiellement la distillerie de son père, René, dont on ignorait aussi l’existence des gins et absinthes jusqu’alors proposés sous l’enseigne d’Absintissimo, et lauréats de plus de 180 médailles en un peu moins de 20 ans.
Romain Wanner, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est aujourd’hui à la tête d’une PME qu’il a rebaptisée Distillerie Wanner. Ses locaux, situés à Couvet (NE), au cœur du Val-de-Travers, sur la Route de l’absinthe, occupent tout le rez-de-chaussée d’une maison de la rue Emer-de-Vattel. C’est là qu’on le retrouve, un vendredi en milieu de matinée. Absinthe en fête, qui verra débarquer le 10 juin une horde de curieux dans les distilleries de la région, n’est encore qu’une lointaine perspective; la matinée est calme. Néanmoins, les visites sont régulières, et, peu avant, un groupe d’Alémaniques s’est arrêté pour saluer celui qui a grandi à Genève, mais dont les grands-parents paternels ont vécu dans la maison qu’il a depuis peu investie. Quand il y est, c’est-à-dire trois à quatre jours par semaine, il partage son temps entre l’alambic, les commandes, la réception des matières premières et son ordinateur, qui n’est jamais très loin – son nouveau métier, il est vrai, n’a pas totalement éclipsé ses activités de journaliste et de communicant.
Dans l’espace qui jouxte un coin boutique dont les formes restent à définir, là où la discussion déroule le fil d’une aventure peu banale, ce n’est pas tant l’ordinateur qui frappe le regard, mais l’alambic. Un modèle flambant neuf de la marque allemande Kothe, choisi non pas pour son esthétique clinquante, mais sa possibilité de distiller jusqu’à 150 l de fruits. «C’est un gros investissement, le plus important après celui lié à la remise aux normes des locaux, mais il était nécessaire pour faire évoluer nos produits», explique Romain Wanner.
Paradoxalement, l’une des premières mesures adoptées n’a pas été de développer la gamme des absinthes, mais de la réduire. «Mon père en a proposé jusqu’à 26 et il en subsistait une petite dizaine quand j’ai repris l’affaire, dont certaines, comme la Fée de la Rade, n’étaient plus produites depuis longtemps.» Ce qu’il a conservé dans l’assortiment: une absinthe verte, deux blanches, une rouge et une vieillie en barrique (il dispose d’une douzaine de petits tonneaux d’une contenance de 35 l), auxquelles s’ajoute un gin maison dont il a renouvelé la recette en usant d’un procédé dans l’air du temps (lire encadré).
Le déclic pour reprendre le flambeau? D’abord, l’apprentissage de la distillation auprès de son père dans la seconde moitié des années 2000, après que cet ancien policier genevois avait distillé, dès 2005, ses 200 premiers litres d’absinthe à la Distillerie de Saconnex-d’Arve dans le but de décrocher sa concession. Ensuite, les cours de distillation de base qu’il a suivis à Changins, pour parfaire ses connaissances. Enfin, le sentiment d’être parvenu à une étape charnière de son existence. «La naissance de mon premier fils, juste avant la pandémie, a fait évoluer mon regard sur mon métier de journaliste. J’ai eu envie de donner un sens plus profond à mes activités, d’aller au-delà de la nature forcément éphémère des articles de presse, l’un chassant inévitablement l’autre. Et comme parallèlement mon père parlait d’arrêter, j’ai fait part de mon intérêt à lui succéder. Nous en avons donc tous discuté en famille.»
Difficile aussi de ne pas évoquer la première profession de Romain Wanner, celle choisie à l’adolescence parce qu’elle présentait l’avantage de l’éloigner des bancs de l’école, et qu’il a pratiquée, de son propre aveu, d’abord avec une certaine nonchalance, avant de s’y investir totalement dès sa deuxième année d’apprentissage au Restaurant Vieux-Bois, à Genève. «Du métier de cuisinier, je garde la passion des bons produits et de la manière de les apprêter. A la distillerie, cela se traduit par le choix scrupuleux de chacune des plantes qui entrent dans la composition de nos eaux-de-vie, par exemple le genièvre utilisé pour l’élaboration de notre gin.»
Après Absinthe en fête, Romain Wanner sera présent le 23 juin à la soirée Gin To’ à la Brasserie de Montbenon, à Lausanne. Le prélude à d’autres événements prévus dès l’automne, où il pourra enfiler une nouvelle casquette, celle d’ambassadeur d’une enseigne familiale dont la nouvelle identité graphique, épurée, devrait séduire une clientèle avide de nouveautés.
(Patrick Claudet)
Fan de technologie, Romain Wanner a développé la recette de son nouveau gin à la faveur d’une longue conversation avec… Chat GPT. «Il y avait des approximations au niveau des quantités, mais la liste des ingrédients (rose, camomille, lavande, hibiscus, réglisse, coriandre, citron, orange douce, angélique, iris, poivre, etc.) a été enrichie par l’apport de l’intelligence artificielle. Un coup d’essai réussi.»