Le Vaudois, élu meilleur directeur de salle du monde en 2017, et retraité depuis 2021, se livre dans un ouvrage revenant sur son parcours.
Louis Villeneuve n’a jamais porté de toque, mais il a marqué le monde de la gastronomie. Dans Monsieur Louis. Souverain majordome, il raconte son histoire en 75 chapitres courts, écrits à la première personne, dans un style sobre et direct. De nombreuses photos jalonnent le récit, apportant une dimension personnelle et historique, notamment lorsqu’elles témoignent de la transition du monde rural qui l’a vu naître, où le cheval cède progressivement la place au tracteur.
Tout débute à Cesson-Sévigné, village breton à l’est de Rennes. Né en 1948 dans une famille d’agriculteurs, Louis Villeneuve semble d’abord destiné à la terre. Il grandit au rythme des saisons, participe aux travaux de la ferme et s’imagine devenir ingénieur agronome. Mais la campagne se vide et la perspective d’une vie isolée, dépourvue de liens sociaux, l’encourage à revoir ses plans. Lorsqu’il décroche un premier poste en salle dans un hôtel de Combourg, près de Saint-Malo, il découvre un univers qui l’enchante: l’élégance des tables dressées, le contact avec la clientèle et la livrée impeccable des serveurs. «Mon père m’a appris l’importance d’être bien tenu: bien coiffé, bien rasé, chaussures cirées. Ces principes, je les ai adoptés très tôt et ils ne m’ont jamais quitté», dit-il. La Suisse marque un tournant décisif. A Schönried, près de Gstaad, il vit sa première expérience dans l’hôtellerie de luxe. Ce voyage, entrepris à travers la France jusqu’aux rives du Léman, puis à destination de l’Alpenrose après une halte à Montreux, est une aventure en soi pour lui et sa famille. Le patron, un certain Fredy – clin d’œil prémonitoire à celui qu’il rencontrera plus tard à Crissier –le guide dans ses débuts.
En 1968, il tente l’aventure canadienne mais revient en France après huit jours. En plein mois de mai, il décide de rejoindre Gstaad en dépit des grèves qui paralysent le pays. «Je suis parti au volant d’une 2CV, avec dans le coffre deux jerrycans d’essence», se souvient-il. L’été suivant, il le passe à l’Alpenrose, tandis que déambulent dans la station bernoise de nombreuses stars, dont Brigitte Bardot, Liz Taylor et Richard Burton. Suivent 16 mois de service militaire à Nîmes, avant le retour en Suisse et l’expérience du Carlton, à Lausanne. En 1972, il entend parler pour la première fois du Restaurant de l’Hôtel de Ville de Crissier, quand Le Matin vante «le succès de la cuisine à 100 francs». «Je suis allé trouver Frédy Girardet, qui a été sensible à ma démarche. En 1975, je commençais chez lui.»
L’essentiel de l’ouvrage se concentre logiquement sur ses 46 années à Crissier, sous la direction de quatre chefs d’exception (Girardet, Rochat, Violier et Giovannini). Avec Frédy Girardet, qu’il accompagne durant 21 ans,il assiste à l’ascension fulgurante de l’établissement, devenu une référence mondiale. Il garde le souvenir d’un chef d’une rigueur exemplaire, consacré Cuisinier du siècle, et de moments marquants, comme l’obtention des trois étoiles Michelin en 1996. Il décrit ensuite la transition vers Philippe Rochat, puis Benoît Violier. «Je garde de ce dernier le souvenir d’un chef brillant, à l’écoute, capable de cultiver une saine émulation au sein de la brigade.» Mais le 31 janvier 2016, l’établissement est frappé par la tragédie que l’on sait. «Franck perpétue la légende et la tradition, il est tout aussi d’exception que les autres», écrit-il au sujet de son successeur.
Dans son livre, il aborde aussi avec pudeur un drame personnel: le décès accidentel de sa fille en 1980. «Le travail, dans ces instants-là, a été bénéfique. Face au client, au contact de l’équipe, j’ai pu gérer la douleur tout en soutenant mon épouse dans cette épreuve qui nous a profondément marqués», confie-t-il. Et d’évoquer encore ses balades avec elle, en montagne ou en plaine, au contact d’une nature qui lui rappelle la campagne bretonne de son enfance. La vie, toujours, continue.
(Patrick Claudet)
Louis Villeneuve, «Monsieur Louis. Souverain majordome», Paris, Les Editions Noir sur Blanc, 2024.ISBN 978-2-88983-028-2