Le documentaire de Gilles de Maistre «La quête d’Alain Ducasse» qui sort dans les salles le 11 octobre tente de percer les secrets du chef le plus étoilé de tous les temps.
Vingt-trois restaurants à ce jour pour 18 étoiles Michelin. Mais aussi plusieurs écoles, une manufacture de chocolat, une maison d’édition, des prestations de chasseurs de tête et on en passe. On sait Alain Ducasse à la tête d’un empire protéiforme, de l’impeccable brasserie au luxe soyeux des très grands palaces; de la Tour Eiffel à la Grosse Pomme, de Londres à Tokyo, pas un lieu en vue ne semble lui échapper. Parmi les dernières réalisations ducassiennes, le restaurant Ore ouvert fin 2016 au Château de Versailles. Préparatifs, réunions, dégustations: ce projet sert en quelque sorte de fil rouge au documentaire «La quête d’Alain Ducasse» du réalisateur Gilles de Maistre et du journaliste gastronomique Eric Roux, en salles dès le 11 octobre. Fasciné depuis longtemps par le personnage, le cinéaste a fait son siège un an durant pour l’amadouer, Ducasse craignant à la fois l’ingérence dans sa sphère privée et le côté chronophage d’un tel film. Le cuisinier-entrepreneur a fini par se laisser convaincre, le cinéaste étant habitué à travailler caméra à l’épaule, sur un mode discret, et parvenant (presque) à se faire oublier.
Il suit ainsi les allers-retours du chef aux quatre coins du globe pendant dix-huit mois, de Paris à Tokyo et de Kyoto à Shangai, des ors de Versailles aux steppes mongoles. Qu’est-ce qui fait ainsi courir celui qui a «changé le cours de la gastronomie», en commençant par sortir de sa cuisine à une époque où la chose n’était pas si courante?
On se souvient que le jeune homme issu d’une famille de paysans landais a débarqué un beau jour de 1987 à Monaco avec ce défi fou lancé par la Société des Bains de Mer: accrocher trois étoiles au Louis-XV en trois ans, une première pour un hôtel. On sait moins que Ducasse est un survivant, seul rescapé du crash d’un petit avion dans les Alpes du côté de Chambéry. Ces épisodes qui tricotent la légende ducassienne sont presque éludés au profit de témoignages. Dan Barber, un des pionniers du mouvement américain «Farm to Table», raconte ainsi comment son mentor, succédant au très adulé Joël Robuchon, a apprêté en toute simplicité de la poitrine de porc et des pommes de terre, alors qu’on l’attendait dans l’ultra sophistication. Une cuisine paysanne avant l’heure. Dan Barber parle d’une «grande humilité et d’un grand risque». C’est que Ducasse ne fait rien comme les autres et surtout n’est jamais là où on l’attend. «Faire différent, observer, apprendre et partager» sont quelques-uns de ses mots-clés. La curiosité donc, celle qui anime tous les passionnés et aide à grandir. Autre conceptclé, celui de «naturalité», qui imprègne tout son empire: de chez ses producteurs de céréales anciennes du sudouest aux plats de sa nouvelle carte du Plaza.
Quelques moments d’émotion vraie traversent le film. A Manille, on découvre ainsi son école de cuisine, accueillant notamment des enfants des rues. A Rio, il participe au resto éphémère mis sur pied par Massimo Bottura cuisinant les excédents des JO pour les gens des favelas.
Réputé avoir «le palais absolu, comme d’autres ont l’oreille absolue», il s’extasie sur les fèves amazoniennes destinées à sa manufacture de chocolat, comme sur le caviar chinois, préparé selon les méthodes iraniennes, dont on visite un élevage à sa suite. Impitoyable, il l’est lorsqu’il goûte un dessert élaboré par un de ses pâtissiers, et qu’il qualifie de gras-mou-sucre: «Ça va plaire à la majorité, mais nous ne sommes pas là pour plaire à la majorité!» C’est que le perfectionniste recherche «l’aspérité», la différence et la nouveauté. Sa quête est celle de goûts nouveaux, de saveurs inouïes, tend à fixer l’intangible en un moment d’émotion pure: en quelque sorte le credo qui transparaît ici.
(Véronique Zbinden)