Après une première carrière d’ingénieur, une reconversion dans la cuisine et une quarantaine de concours, le Genevois enseigne certaines techniques avant-gardistes et lorgne la street food.
La dernière fois qu’on l’avait croisé, c’était dans les grandes halles de Palexpo Genève, où il disputait pour la deuxième fois la Sélection suisse du Bocuse d’Or. Un concours de plus pour celui qui en a fait une quarantaine depuis sa reconversion professionnelle? Pas vraiment. Depuis toujours, il considère le Bocuse d’Or comme le Graal culinaire, et, dans les gradins lyonnais où s’affrontent les 24 meilleurs cuisiniers du monde, il s’est souvent laissé emporter par la frénésie de ce concours emblématique. L’an dernier, il n’a pas décroché sa place pour la finale européenne. Qu’à cela ne tienne: il a poursuivi sa route et redoublé d’efforts, s’investissant notamment dans Kitchen Lab Food.
Kitchen Lab Food? C’est le nom de la structure qu’il a fondée dès 2013, alors qu’il travaillait encore au sein d’une banque privée. D’emblée conçu comme un terrain de jeu et un lieu d’apprentissage, ce laboratoire lui a permis d’affiner des techniques que l’on pourrait qualifier de moléculaires si le terme n’avait pas été galvaudé par les amateurs d’azote liquide. Son approche, il l’a surtout développée au contact d’Hervé This, chimiste français et fondateur de la gastronomie moléculaire. Ce dernier est également à l’origine de la cuisine note à note, qui propose de cuisiner avec des composés purs plutôt que des ingrédients bruts.
Ces préceptes, Pasquale Altomonte les transmet aujourd’hui dans les cours qu’il dispense dans son laboratoire genevois, que ce soit pour des amateurs éclairés, des cuisiniers curieux ou des chefs de cuisine qui viennent incognito pour explorer de nouveaux horizons culinaires. «L’enjeu, toutefois, ne se limite pas à l’apprentissage de la cuisine moléculaire ou note à note. Il s’agit avant tout de comprendre comment ces techniques permettent d’optimiser les ressources pour une cuisine plus efficace, plus durable et plus riche en saveurs», explique-t-il.
Son constat, c’est qu’il y a aujourd’hui trop d’aliments qui partent à la poubelle dans les cuisines. D’où son credo que rien ne doit être perdu. «Une carotte, par exemple, ce n’est pas juste sa pulpe: on peut utiliser les fanes pour une huile verte, la peau pour un sel aromatisé, les racines pour un condiment.» Idem pour le céleri, dont chaque partie peut trouver un usage culinaire.
Pasquale Altomonte, chef de cuisine
Les techniques qu’il enseigne permettent d’aller encore plus loin. Ainsi, Pasquale Altomonte montre comment, en jouant sur la température et le temps de cuisson, la cellulose d’un légume se déstructure, ce qui permet d’obtenir une texture onctueuse sans ajouter de matière grasse. Autre approche clé: la décomposition des aliments en leurs différentes strates gustatives. «Si on centrifuge une tomate, on obtient plusieurs couches distinctes: une eau translucide, une pulpe plus dense, une écume parfumée. Chacune de ces notes peut être déclinée dans chaque assiette, ce qui ouvre un champ créatif infini au moment de concevoir un menu.»
En plus de leur intérêt culinaire, ces méthodes offrent un avantage économique non négligeable. L’exemple des herbes aromatiques est frappant: «Dans les restaurants, des quantités astronomiques d’herbes fraîches sont jetées chaque semaine. Or, il suffit de les déshydrater et de les transformer en poudre pour obtenir un assaisonnement naturel, conservable 18 mois.» Selon lui, un simple déshydrateur de cuisine, peu coûteux et peu gourmand en énergie, suffit pour réaliser des économies significatives. Dans la même logique, il encourage l’utilisation des œufs lyophilisés en pâtisserie, qui garantissent un dosage au gramme près et suppriment les risques sanitaires liés aux œufs frais. «Avec ces techniques, on réduit le gaspillage, on maîtrise mieux les coûts et on gagne en régularité», résume-t-il.
Dans son laboratoire genevois, Pasquale Altomonte explore sans relâche de nouvelles techniques culinaires. (dr)
Toujours en quête de nouveaux défis, Pasquale Altomonte a lancé fin 2024 son propre food truck, sorte d’extension roulante de sa philosophie culinaire. Contrairement à celle des camions classiques, la carte change entièrement chaque mois, avec trois plats salés et deux desserts de saison. Côté design, son véhicule, conçu en aluminium et inox, rappelle une cuisine professionnelle. «Tout est ouvert et visible, j’aime l’idée de pouvoir le faire visiter à tout moment», dit-il. Deux jours par semaine, il apprécie aussi l’interaction avec les clients: «Les retours sont immédiats, c’est une autre manière de continuer à progresser.»
(Patrick Claudet)
Né en 1978, Pasquale Altomonte grandit dans le New Jersey et embrasse une carrière d’ingénieur en sécurité routière. Onze années durant, il travaille pour l’Etat du New Jersey, tout en suivant une formation en management. La cuisine n’est alors qu’une activité secondaire, un moyen de financer ses études. En 2011, pourtant, il change de cap. Après une formation accélérée sur le terrain, il enchaîne les stages auprès de chefs renommés. Il est aujourd’hui à la tête de Kitchen Lab Food, à Genève, et il vient de lancer son propre food truck.