Michelin a devoilé la semaine dernière son palmarès 2024, pour la troisième fois sur la campus de l’EHL.
Des déçus, des frustrés, des fâchés, comme à chaque édition, certes, quoiqu’ici particulièrement nombreux, l’ensemble des sélectionnés 2024 (540) ayant été conviés par le guide rouge. Parmi les visages familiers, ils étaient plus visibles que jamais à venir quérir une hypothétique promotion, les Marco Campanella, Pierrot Ayer, Marie Robert, Maryline Nozahic et autre Yoann Caloué. Et cette fois encore la cohorte des oubliées – des cheffes, si si, dont (presque) aucune n’est distinguée. A l’exception notable, côté salle, de Sarah Benahmed, qualifiée de «charmante, décontractée et rafraîchissante». Précédemment étoilée et distinguée à Strasbourg, du même titre, émue aux larmes, celle-ci a souligné le bouleversement que représente «le fait de devenir maman, dont aucune restauratrice ne devrait laisser son métier la priver».
Le panorama suisse dessiné à Lausanne comporte ainsi 540 étoi-lés dont quatre triple et 25 double-étoilés, pour 136 établissements mono-macaron, 34 étoiles vertes et 144 Bib Gourmands. Le tout en vertu de cinq critères «inchangés depuis la création du guide, en 1905», a souligné Tanguy Léon-Pflieger, directeur.
Pour en venir aux nouveaux étoilés tant attendus, ils sont six cette année dans une (presque) parfaite harmonie confédérale, soit deux romands. Quentin Philippe, installé depuis six mois à Genève (Arakel) – un record pour le guide (et la preuve que volens…) –, et Dominique Gauthier, à Genève aussi (F.P. Journe), à peine plus ancien dans la place, quoiqu’abonné aux étoiles depuis le Beau-Rivage.
Mais encore? Dario Moresco à Zurich (Orsini), Dan Rodriguez-Zaugg et Alejandro Perez Polo à Schaffouse (Villa Sommerlust), Christopher Knippschild à Cham (The Dining Room), Robert Steuri à Lucerne (Maihöfli). On grimpe d’une marche? Gilad Peled à Lucerne (Colonnade), déjà récompensé à la même hauteur en France, et la star zurichoise Mitja Birlo (The Counter) sont les heureux récipiendaires d’un deuxième macaron. Mention du guide à Pic Beau-Rivage et Jordan Theurillat – unique en Suisse romande à se hisser à ce niveau, quoiqu’il ne s’agisse pas d’une entrée, étant donné la réouverture récente de son très ambitieux paquebot.
Le panthéon des triples étoilés enfin, le Nirvana, le club des happy few? Il demeure comme imaginé, inchangé à quatre chefs et entrepreneurs (hommes), tous postés dans des palaces et au sein de groupes de luxe, en l’occurrence Andreas Caminada, Franck Giovannini, Peter Knogl et Sven Wassmer.
Commentaire du guide sur la récurrente question des femmes? Elle «reflète la réalité (de la disparité) à laquelle on n’entend pas répondre par des quotas». Michelin se veut «déterminé à changer et être proactif, en vue de mettre en lumière les cuisinières, comme répété lors de la sélection française», qui a eu l’audace de projeter une vidéo engagée de la productrice, réalisatrice et journaliste Vérane Frediani.
Sur le thème de la durabilité, le guide qui a lancé les étoiles vertes en France en 2020 en distingue cette année 34. La récompense vertueuse attire «une clientèle jeune et convaincue autour de cette approche incarnée». En l’occurrence celle de Rafael Rodriguez et Romano Hasenauer à l’Auberge de l’Abbaye de Montheron, leurs infinis bonheurs forestiers et champêtres. Ainsi que les remarquables George Tomlin à Zurich (Silex), Pascal Steffen à Bâle (Roots), et Piero Roncoroni à Comano (Osteria del Centro), dont «l’expérience à la ferme a changé la vie et la vision». Les responsables soulignent leur engagement dans de telles «stratégies d’avenir, mettant en avant des produits régionaux et saisonniers, le souci de pratiques biologiques, écologiques et du bien-être animal dans les élevages et les circuits courts, mais aussi la sobriété énergétique, la réduction des déchets et le recyclage, voire la sensibilisation du personnel et la transparence vis-à-vis des clients». A relever enfin les dix nouveaux Bib Gourmands, dont celui de Julien Ostertag à Chardonne (Là-Haut).
Reste enfin à déterminer si «l’étoile [est] un passeport pour la liberté» ou au contraire un boulet économique, comme le relevait en substance Olivier Gergaud, professeur d’économie à la Kedge Business School. Voire une vision de la société, du luxe et de l’alimentation demeurée largement anachronique?
(Véronique Zbinden)