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Comment les émotions nourrissent la Mémoire des Vins Suisses

La rencontre annuelle de la Mémoire des Vins Suisses s’est déroulée le 10 mars à Lausanne en présence de plus de 500 visiteurs.

Madeleine Mercier, à Sierre, aime, comme son père Denis, valoriser des cépages autochtones valaisans. Tel que le cornalin, plus ancien cépage rouge planté dans le canton comme un vin de pays. Ce qui fait sursauter un spécialiste du vignoble de Bordeaux, considérant le travail sur le cornalin des Mercier comme un symbole de finesse. Cela lui rappelle certains vins de Bandol, à dominante de mourvèdre, qu’il aime particulièrement. Ce qui nous frappe en dégustant le millésime 2016 est ce super jus gourmand en bouche aux arômes vifs de cassis et cette souple amertume finale. Un vin élevé en barriques pendant douze mois. Mais pas marqué par son élevage.

La rencontre de la Mémoire des Vins Suisses s’est tenue au Lausanne Palace.

Tout à coup, Madeleine Mercier, ancienne présidente de la Mémoire, se rend compte qu’il s’agit du premier millésime qu’elle a vinifiée seule, et cela lui procure une grande émotion. Le lendemain, lors de la journée réservée aux membres, Madeleine Mercier, lorsqu’elle parcourt les terrasses de Lavaux, se réjouit de voir de plus en plus d’espaces verts entourant les vignes. Adieu le monde lunaire perclus de pesticides, les vins s’en ressentent aussi.

Un jeune vigneron attentif aux trèfles

A la Mémoire, les vignerons prennent le temps de parler entre eux de sujets philosophiques liés à leur métier passion. Christian Vessaz, au Cru de l’hôpital dans le Vully, dit qu’il commence à penser à la construction d’un vin, à sa structure, au moment où il plante la vigne. Ensuite cela ne le quitte plus, comme un mantra, jusqu’à sa première vinification. Avec le Genevois Jean-Pierre Pellegrin ils échangent sur le gewürztraminer.

Lorsqu’il goûte celui de Christian Vessaz, Jean-Pierre Pellegrin se concentre sur sa légèreté et ses notes florales. Et lorsqu’il réfléchit à son tour à un assemblage avec du sauvignon blanc, il trouve le bon dosage «en mangeant les raisins». Jean-Pierre Pellegrin prend le temps de parler de la façon de travailler de son fils François: «Il peut regarder la nature, prendre une large brasée de trèfles à quatre feuilles et en offrir à tous les acteurs de la taille.» Dans la touffeur de la dégustation du Lausanne Palace, le jeune François Pellegrin rêve d’organiser cet évènement dans les vignes.

La Suisse, esprit bordelais et bourguignon

La Suisse produit peu de vins d’assemblages, à la façon bordelaise, pourtant deux d’entre eux sortent à la Mémoire clairement du lot et un dernier propose un profil encore plus atypique. Celui de Jean-Pierre Pellegrin, précisément, ce Grand’Cour 2021, impose sa lenteur contemplative en bouche avec son imposante et fluide dominante de 70% de cabernet franc et son final sur le cabernet sauvignon, à la très agréable aromatique de griottes et de cassis.

Au Tessin, la Tenuta San Giorgio de Mike Rudolph propose son Arco Tondo, il tient à cette devise claire: «petites quantités, vins authentiques, qualité maximale». Cela se reflète dans le 2022, construit avec une dominante de merlot, du cabernet franc et du petit verdot. Une entrée de bouche mentholée, des parfums de groseille, une acidité maîtrisée et une fin de bouche équilibrée. L’inspiration bordelaise prend parfois de drôles d’habits en Valais, avec ce millésime 2022, de Clos Corbassière de Provins. Il mélange allègrement cépages autochtones et cépages bordelais. Cela donne un vin droit et sauvage à la fois pour cette petite parcelle d’une cave gigantesque. L’inspiration bourguignonne reste beaucoup plus présente en Suisse dans les élevages et évidemment dans la confection de pinots noirs très élégants, comme ce Pur Sang 2022 du domaine de Chambleau, élevé en barriques entre 12 et 18 mois.

Les quelque 500 visiteurs ont pu rencontrer les 59 vignerons de l’association.

A une autre table, de l’excursion du deuxième jour, le Valaisan Benoît Dorsaz partage avec ses collègues ses visions sur la sécurité. «Une priorité pour me protéger avec mes employés», dit-il. Il parle d’une jeune stagiaire paniquée à l’idée de se noyer dans une cuve, à qui il conseilla simplement de mettre, en cas de problème, un coup de pied à la cuve et de laisser tout le contenu s’éparpiller au sol. Boire ses paroles paysannes et montagnardes permet aussi de se remémorer les qualités de la Syrah Quintessence de Fully 2022. Quant à Blaise Duboux, orfèvre d’un des rares Dézaley bio de Lavaux, il raconte ce moment où, pour les 16 ans de sa fille, on amène un flacon qu’il aime sur la table. Le vigneron aimerait avoir réalisé ce vin. Sa compagne le reconnaît. Lui non. Très ému, il découvre qu’il s’agit bien d’une de ses productions, en plus lors d’un millésime difficile. La richesse épurée de son Calamin dit le reste et vieillit très bien, comme le prouve ce millésime 2015 à la robe d’or et aux arômes d’agrumes. «Un chasselas», plaisante Blaise Duboux, jamais avare d’une bonne humeur qui contamine l’ensemble de cette joyeuse association.

(Alexandre Caldara)