Jusqu’ici, c’était un secret bien gardé. Mais Provins redynamise son projet de «vins de barrage», de la gamme Les Titans.
Après des essais menés depuis 2010, des barriques ont été transportées dès 2015 dans les entrailles du barrage de la Grande-Dixence, à 2200 m d’altitude. Aujourd’hui, près de 300 tonneaux «dorment» dans des galeries. La plupart sont logées à la Grande Dixence. Mais depuis peu, s’y ajoutent une cinquantaine de fûts de cornalin dans une niche du barrage de Mauvoisin, et autant de syrah, au Nant-de-Dranse, au bout d’une galerie longue de 10 kilomètres. Dans ces deux derniers cas, l’altitude est moins haute (1800 m) et la température constante un peu plus élevée qu’à la Grande-Dixence (5° C toute l’année). L’hygrométrie reste saturée, à 100 % d’humidité. Ce sont ces paramètres qui sont la clé de ce projet, mené par le maître caviste Luc Sermier, qui a fait toute sa carrière (44 ans!) chez Provins, et le consultant français Nicolas Vivas.
Si elle reste assez onéreuse (de 34 à 39 francs la bouteille, prix public), la gamme, présentée avant le fêtes de fin d’année, est épuisée en septembre suivant. Et cela sera encore plus vrai pour le millésime 2021, où la quantité récoltée a été en moyenne la moitié de cette dernière vendange, 2022.
Dès 2025, Les Titans devraient atteindre un rythme de croisière de 35 000 bouteilles mises en marché chaque année à destination des hôteliers-restaurateurs et du public. Dans l’assortiment de Provins, devenue société anonyme en mains de la coopérative agricole Fenaco, Les Titans occupent une place à part. Non seulement en raison de l’élevage dans les entrailles des barrages, mais aussi dans le choix des raisins. Le maître caviste Luc Sermier a à sa disposition des raisins de tout le Valais, mais pas des domaines Provins proposés en parcellaires. La majeure partie de cette matière première provient du domaine du Séminaire, à Sierre, en bio, et de parchets loués, notamment à Leytron, cultivés par l’entreprise elle-même.
Au début de l’opération, en 2005, deux vins étaient destinés à la Patrouille des glaciers, que Luc Sermier, sportif accompli, a effectuée seize fois... L’un était une petite arvine, l’autre un assemblage rouge, le Défi noir. S’y est ajouté, l’années suivante, un assemblage blanc, le Défi blanc. Puis le merlot, en 2008, la syrah, qui a remplacé le pinot noir en 2016, le cornalin, en 2018 et, en 2019, un rosé très pâle de diolinoir, un vin de table plutôt que d’apéritif, et qui existe aussi en... magnum (comme le Défi noir et le cornalin). Les deux assemblages varient selon le millésime. Ainsi, pour 2021, le Défi blanc comprend 70 % de petite arvine, 20 % de pinot gris et 10 % de muscat, pressés ensemble, «à la champenoise», puis vinifié en cuve inox, et élevé neuf mois en altitude, en barriques usagées. En 2019, le Défi noir est formé, lui de 70 % de diolinoir, 20 % de cornalin et 10 % de syrah, qui fermentent ensemble; seule exception à ce jour, le 2020, encore en cours d’élevage.
Le rouge passe 24 mois dans l’atmosphère de la montagne, comme les monocépages. Depuis l’entonnage à la cave de Sion et jusqu’à leur montée au barrage, les vins sont en fait élevés 32 mois en barriques... Leur apogée, assure Luc Sermier, se fondant sur une dégustation comparative du Défi noir, est autour de 10 ans. Un joli potentiel pour les rouges!
Côté blanc, la petite arvine 2019 se révèle dans sa prime jeunesse, où le citron vert, le grapefruit, voire la rhubarbe, sont dominés par le vanillé du bois. Primé au Merlot du monde, et même si le Valais est sans doute trop chaud et trop sec pour le cépage d’origine bordelaise, le merlot 2019 (14% d’alcool) offre un nez de poivron grillé, sur des tanins fins et une finale typique de graphite. La syrah 2019 s’exprime sur la fraîcheur, avec des notes épicées, où le bois se fond harmonieusement. Dernier arrivé, le cornalin! Sous sa couleur violine, le 2019, deuxième millésime, est typé du cépage identitaire valaisan, avec des notes de cerise noire, une texture ample et de la salinité finale.
«Je veux éviter des vins qui ont une maturité rapide et marquée, avec des notes de confit ou de confituré. Le long élevage sous bois en haute altitude et dans une atmosphère si humide limite ce risque et permet au vin d’évoluer plus lentement aussi », constate Luc Sermier. A tout juste 60 ans cette année, le maître caviste dit préparer «quelque chose» pour le centenaire de Provins. Ce sera en 2030.
(Pierre Thomas)