Le pays du Cèdre souffle une création digne des mille et une nuits à Malou Zryd et un restaurant éphémère estival au Fairmont Montreux Palace, avec le chef Alan Geaam.
Lemantine. C’est le nom en forme de promesse d’une cuisine métissée et raffinée qui s’affichera bientôt dans un des sites les plus idylliques de la Riviera vaudoise, celui de l’hôtel Fairmont Le Montreux Palace. Un palace Belle Epoque posé dans son écrin de verdure, avec piscines et pieds dans l’eau, le regard dans le bleu du lac et le blanc des Alpes françaises.
Le lieu est déjà une évasion en soi, voici qu’il propose en sus un voyage au long cours. Grâce aux saveurs libanaises qu’annonce le pop-up du chef étoilé et entrepreneur Alan Geaam. L’homme a un parcours peu commun, qu’il évoque longuement dans son ouvrage récent Mon Liban (Hachette Cuisine). Vingt ans après être arrivé à Paris avec un visa d’une semaine et 200 dollars en poche, Alan Geaam vit une véritable success-story. Parti enfant du Liberia, il grandit dans une famille modeste dans sa ville d’origine Tripoli, entre un père autoritaire, qui l’oblige à travailler dans l’épicerie familiale dès l’âge de dix ans, et une mère généreuse et excellente cuisinière, à laquelle il rend hommage à chaque page.
Car la cuisine libanaise – tous les expatriés vous le confirmeront – est d’abord une cuisine de femmes. Après des années de galère à Paris, désormais chef étoilé et entrepreneur, notre homme se retrouve ainsi à guetter l’approbation de sa maman, à craindre son verdict à l’heure de goûter le poulet confit au chou et à la tomate.
Alan Geaam raconte comment il a connu les chambres de bonne, travaillé sur les chantiers avant de décrocher un job de plongeur dans un obscur resto libanais, comment lui qui ne parlait qu’arabe et un peu d’anglais s’est élevé, à force d’opiniâtreté et de travail, vers le haut de la hiérarchie gastronomique. Apprenant à faire la mayo en lisant des livres, passant de plongeur à remplaçant au pied levé du chef blessé, puis à sous-chef, second et enfin patron, Alan Geaam parvient à reprendre, en 2017, l’adresse chic du XVIe où l’avaient précédé Akrame Benallal, Guy Savoy et William Ledeuil. Un bon présage assurément puisqu’il obtient l’année suivante une étoile au guide rouge. Entretemps, il se met à la boxe, rencontre sa femme et entame une nouvelle phase, épanouie, de sa vie.
Auparavant, Alan Geaam a racheté l’Auberge historique Nicolas Flamel et installé là un jeune chef talentueux de la galaxie Ducasse, qui vient lui aussi de décrocher sa première étoile. Là-dessus, il a ouvert Qasti et Qasti Shawarma Grill, ainsi que l’épicerie libanaise Doukane à Paris. Il a dupliqué le concept de Qasti à Marseille et ouvert Aïnata au sein de l’hôtel K2 Altitude à Courchevel. Ambitieux, le chef confie rêver d’ouvrir également une boulangerie libanaise à Paris et, après avoir mis un pied en Suisse (O’Beirut, à Lausanne), attend d’y poser le deuxième, dès juin, à Montreux.
Son livre s’articule autour des plats traditionnels (taboulé, houmous, kebbeh, baba ganoush, kefta et autres sauces) suivis des recettes gastronomiques d’inspiration libanaise (homard à l’arak; blacks falafels, anguille fumée et vierge de pois chiches; etc.), des desserts traditionnels et des desserts gastronomiques de même inspiration. Alan Geaam explique comment sa réflexion l’a conduit à une cuisine métissée, hommage aux femmes de sa vie, la mère et l’épouse, mariant le pot-au-feu aux épices douces libanaises, le chocolat au zaatar, le foie gras à la grenade, devenant «un passeur entre deux univers culinaires, entre France et Liban».
Mais c’est une autre femme, fascinée par les parfums et les saveurs du Liban, qui rend hommage depuis peu à Lausanne à ce même patrimoine culinaire. Elue meilleure artisane glacière de la capitale vaudoise à l’enseigne de Labo Gelateria, Malou Zryd revisite la bouza traditionnelle, mêlant notamment fleur d’oranger et pistache. La bouza (ou booza)? Nom générique de la glace pour les Libanais, elle se dit dondurma en Turquie et ses origines sont disputées, les Turcs comme la ville d’Alep en revendiquent aussi la paternité. Malou s’est inspirée, pour sa part, de la recette familiale d’une amie libanaise, avec qui elle l’a testée dans son labo d’Ecublens (VD).
Quoi qu’il en soit, pour être authentique, la recette doit impérativement contenir deux ingrédients mystérieux et un peu magiques: le mastic et le salep. Le mastic ou résine de lentisque, dont on tira la version locale des premiers chewing-gums, provient de l’île grecque de Chios. On concasse quelques larmes de cette sève avec du sucre, avant de l’ajouter au lait chaud, pour obtenir une texture légèrement élastique et des notes un rien résineuses. Le salep (ou sahlep, plus prosaïquement nommé testicule de renard en arabe, en référence à la forme de la racine d’orchidée dont il est extrait, censément aphrodisiaque) s’utilise sous forme de poudre. C’est un épaississant, qui évite à la glace de fondre trop vite.
A ces deux ingrédients mystérieux et un peu magiques s’ajoutent la fleur d’oranger et, à la fin, des éclats de pistaches (siciliennes) pour enrober la masse. Un des secrets de Malou Zryd tient aussi à la légèreté de ses créations: très peu de sucre, aucun ajout de crème dans la base fior di latte, pour des ingrédients aussi locaux et bios que possible, avec toujours le goût pour premier critère. La bouza signée Malou se trouve à ses points de vente habituels au marché de Cully ou dans son labo d’Ecublens les samedis, ainsi que dans plusieurs épiceries et restaurants de la région.
(Véronique Zbinden)
Les deux restos du Mudac (Musée cantonal de design et d’arts appliqués contemporains), le Nabi et le Café Lumen, ont l’excellente idée de proposer aussi la glace libanaise de Labo Gelateria. La nouvelle expo «Beyrouth, les temps du design» se penche sur l’effervescence créatrice qui y anime la scène du design. Une raison de plus de s’intéresser au Liban.