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Un Jardinier brouillé avec son terroir au Woodward

Cosignée Olivier Jean et Alain Verzeroli, la nouvelle carte du palace genevois se veut l’expression de la saison et de la région. Mais prend des libertés avec ce concept.

  • «Etre en symbiose et à l’écoute de la nature», telle est l’ambition d’Olivier Jean, le chef exécutif qui cosigne la nouvelle carte du Woodward avec Alain Verzeroli, et qui prend quelques libertés avec le concept de saisonnalité et de régionalité. (DR)
  • Chef exécutif du Woodward, Olivier Jean a passé six années aux commandes de l’Atelier de Joël Robuchon à Taipei.
  • Le parcours d’Alain Verzeroli, est notamment passé par Taillevent, Guy Savoy et l’Arpège d’Alain Passard.

La double véranda avait bien failli ne pas voir le jour, sur cette façade historique Belle Epoque. Mais là, avec ce souffle printanier, ce tableau vivant offert sur une marina presque ligure, elle est, avouons-le, vraiment extra. Lumineuse et dépaysante. Ce qu’on y déguste affiche à l’inverse un ancrage local, végétal, saisonnier, avec un menu nommé Expression de saison, selon un concept Farm to Table. Quoique pas toujours conforme à la réalité.

Une nouvelle carte de printemps

Bienvenue au Woodward, 15e palace genevois, ouvert en septembre 2021, au lendemain de la pandémie et d’un chantier aux rebondissements multiples. Quai Wilson, nous sommes à deux pas d’un autre cinq-étoiles aux ambitions gastronomiques porté par Michel Roth, le Président Wilson. Géré par le groupe allemand Oetker Collection, le Woodward a vu le jour dans un bâtiment des années 1900, protégé par son statut de monument historique, d’où la complexité du chantier.

Avec ses 26 suites, son spa Guerlain et un taux de remplissage récent quasiment au maximum, le printemps sourit décidément au Woodward. Son Jardinier dévoilait ainsi ces jours sa nouvelle carte de printemps dans la fameuse véranda, en présence de ses deux chefs, tous deux issus de la constellation Robuchon. Le premier élabore le menu, selon le concept et la philosophie du second. Désormais chef exécutif du Woodward, Olivier Jean, récemment auréolé d’une étoile Michelin, a passé six ans aux commandes de l’Atelier de Joël Robuchon à Tai-pei, avant de piloter les ouvertures de ceux de Miami et New York.

Approximations dommageables

Quant à Alain Verzeroli, son parcours n’est pas commun: né au Vietnam, il interrompt ses études d’économie à Paris à la suite d’une expérience bouleversante dans un établissement gastronomique du chef Alain Rayé. Après l’Ecole Ferrandi, son parcours passe notamment par Taillevent, Guy Savoy, puis l’Arpège d’Alain Passard, avant de devenir un proche collaborateur de Joël Robuchon. Après une vingtaine d’années au Japon, il s’installe aux Etats-Unis, rejoignant le groupe Bastion Restaurants, qui gère la marque L’Atelier de Robuchon. Verzeroli crée alors le concept des restaurants Le Jardinier et Shun, dont il est aujourd’hui directeur culinaire. Le premier Jardinier ouvre à New York en 2018, distingué l’année suivante par une étoile Michelin; l’enseigne sera dupliquée à Houston, puis Miami, avant Genève.

Et Genève, justement? On n’est pas à New York et pourtant la cuisine témoigne d’une perception pour le moins décalée de son terroir. La philosophie du Jardinier? «Etre en symbiose et à l’écoute de la nature», explique le chef. Qui propose cinq entrées, cinq plats et une demi-douzaine de suggestions de fromages et desserts, y compris la forêt noire signée Castricher et les chocolats Stettler (qui appartiennent au même groupe). Par exemple? Truite, petits pois d’Hermance, raifort, kombu; courgette violon, kiwi, graines de basilic, burrata GRTA; œuf du Lignon, amandes, carottes d’Hermance, piment fumé; filet de bœuf des alpages suisses; pomme bleu d’Artois, carottes, parmesan.

Le hic, c’est qu’on ne cultive pas de petits pois à Hermance; seuls de rares maraîchers en proposent dans le canton, chez qui cette culture ne sera pas à maturité avant un bon mois. En ce moment, le maraîcher d’Hermance cité par la carte n’offre ni asperges, ni courgettes violon, ni carottes. Quant aux kiwis vaudois, récoltés en novembre, ils sont vendus entre les Fêtes et fin mars. Alors que la mention de «filet de bœuf des alpages suisses» ne correspond à rien.

Olivier Jean revendique une origine locale – voire un rayon de 150 km –pour 75 % de sa carte. Or quel que soit le mode de calcul, cet objectif paraît assez lointain… Cela dit, à quoi ressemble la cuisine de ce duo étoilé? Saine sans doute, avec nombre de mentions «sans gluten», «végétarien» ou «végane». Elégante, raffinée mais sans âme. Les plats servis pour marquer l’irruption du printemps sont frais et légers, techniquement et esthétiquement aboutis, quoique manquant singulièrement de personnalité.

Toutes ces approximations desservent la démarche dans son ensemble, lui donnant un petit goût amer. Rien n’oblige un restaurateur à détailler la provenance exacte de ses ingrédients et pourtant les notions de terroir et de saison représentent désormais une telle valeur ajoutée aux yeux du consommateur qu’elles incitent apparemment à prendre quelques libertés.

(Véronique Zbinden)


Davantage d’informations:

oetkercollection.com/fr/hotels/the-woodward/restaurants/le-jardinier