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Vins charentais: l’originalité à tout prix

En Charente maritime, terres du cognac, des vignerons se réinventent. Et un sommelier né à La Rochelle se fait ambassadeur en Suisse romande.

On ne cherchera pas des «coteaux de l’Atlantique» en Charente maritime, mais des vignobles plats comme dans le Bordelais. (DR)

Associé durant huit ans et demi à l’Auberge communale La Balance, à Daillens (VD), Michael Texier, passionné par les vins, vient d’ouvrir une échoppe à Etagnières (VD). Sous le nom de Timme, il propose des vins des Côtes-de-l’Orbe — il est un des initiateurs du Salon de cette AOC vaudoise en plein essor,  qui aura lieu les 10 et 11 novembre 2023 à Daillens, mais aussi des produits de sa région d’origine, la Charente maritime. Comme beaucoup, il est passé par la référence de cette région méconnue, entre Bretagne et Gironde, sur le front atlantique, la dynastie des restaurateurs Coutenceau, étoilés Michelin de La Rochelle. Toute cette large portion de France a été réunie, en 2016, sous le nom de la Nouvelle-Aquitaine, la plus vaste région de l’Hexagone. Charlemagne avait vu encore plus grand en 781, quand il avait créé le royaume d’Aquitaine....

Il y a quelques semaines, Fabrice Papin était de passage en Suisse romande. A Saint-Bonnet- sur-Gironde, sur l’estuaire du large fleuve, à la limite sud de la Charente Maritime et de la Giron­-de, il a repris le domaine du Petit Marand où sa famille paysanne vit depuis 1818. «J’ai fait ma crise de la quarantaine», confie ce père de deux enfants, qui, avec sa femme, a gravité dans le monde du luxe, lui chez LVMH, elle chez ­Richemont, treize ans, dont une majorité en Asie.

Le vin, produit de luxe

De son passage à Shanghai, puis à Hong Kong, avec un crochet par Dubaï et les domaines Lafite-Rothschild, Fabrice Papin a gardé le goût des grands vins, dont Hong Kong est devenu une plaque tournante mondiale. Fort de son expérience, il tire volontiers un parallèle entre les grands crus et les belles montres, deux produits de luxe qui ont connu une haute valorisation en ce début de millénaire.

Entre Bordeaux, où il réside, et Cognac, pour qui il livre (à Hennessy) la vendange de 6,5 ha d’ugni blanc, il y a un univers qu’il entend réinventer. Revenu sur le domaine familial de 3,5 ha (hors ugni), il plante du... pinot noir en 2016, du chardonnay, puis grenache (premier millésime: 2021, encore en fût) et syrah (en devenir), en plus du merlot et des cabernets, sauvignon et franc. «J’ai envie de faire différent et bon. ­Je cultive mes cépages dans un jardin.» Il est en reconversion bio, jusqu’en 2023, et s’intéresse à la biodynamie, à condition de pouvoir faire lui-même ses préparations.

La Charente? «Comme les Côtes-de-l’Orbe il y a 20 ans»

Le futur quadra se souvient qu’il a fait, très jeune, viti-œno à Montagne-Saint-Emilion. Il traite quand il faut ses petites parcelles mécanisées. En cave, il n’hésite pas à travailler au plus près de la nature, renonçant aux levures sélectionnées, mettant peu de soufre, élevant ses vins dans les plus fins bois des meilleurs tonneliers, François Frères. En 2015, il sort sa première bouteille de chardonnay. L’année suivante, sur les conseils d’amis de Hong Kong, il lance ses cuvées «eXtra Ordinaire» (comme XO en cognac), en merlot et chardonnay... Ses 15 000 bouteilles annuelles partent à 70 % à l’export.

De petits rendements

Comment expliquer qu’en Charente-Maritime, à part le merlot, rare en version pure à Bordeaux, sauf dans le bas de gamme, on puisse cultiver les chardonnays-pinots bourguignons et les grenaches-syrahs rhodaniens? «On a des sols de calcaire et d’argile. J’ai des petits rendements qui ne dépassent pas les 35 hl/ha. Je joue sur les maturités, je vendange tôt. J’aime la tension dans mon pinot noir; les sommeliers en redemandent! Mon grenache “garrigue” en diable.» Pourtant, les aléas climatiques sont là: il faut le vent de l’estuaire pour sécher l’humidité atlantique et le domaine a été grêlé à 70 %, le 20 juin 2022, «le jour de mon anniversaire», sourit Fabrice Papin.

Le vigneron va donc monter un petit négoce, «30 000 bouteilles maximum», en achetant du raisin sur pied, via des contrats passés avec deux domaines sur les quatorze visités. Il «fait abstraction» des appellations et étiquette son pinot en «indication géographique protégée» Atlantique. «Je mise à fond sur la différenciation. Je sors des sentiers battus. Les gens sont très ouverts. Ils veulent découvrir sans cesse de nouveaux vins.» Même le prix ne paraît pas un problème: son rosé pétillant, neutre et sucrotant, s’est arraché à La Rochelle cet été (à 18 euros le flacon, prix public); son pinot noir, tendu en 2021, mais au fruité bien présent et au boisé maîtrisé, la Cuvée Saint-Auguste, est à 49 francs (prix public suisse), ses eXtra Ordinaire merlot à 44 francs, le chardonnay 10 francs de plus. «Je prépare une cuvée à 120 – 150 euros et j’ai déjà des réservations», assure l’homme, revenu de Hong Kong.

Le monde à l’envers

En Charente, c’est le monde à l’envers: un autre domaine proclame que «c’est bien parce que le terroir est exceptionnel et que les vins étaient bons que le cognac existe aujourd’hui». Alors que l’Histoire a retenu que parce les vins étaient mauvais et ne supportaient pas le voyage par bateau en Angleterre et Hollande, on a préféré les distiller! Et il est surprenant de voir des investisseurs se lancer dans la vigne aux portes du Bordelais, où les propriétaires ne voient d’avenir que dans une campagne d’arrachage massive. Avec ses vins, Michael Texier fait la tournée des popotes romandes et constate: «La Charente, c’est comme les Côtes-de-l’Orbe il y a 20 ans. On admet qu’on y fait quelques-uns des meilleurs rouges vaudois!»

(Pierre Thomas)


Davantage d’informations:

timmevins.ch