La veuve du talentueux chef de Crissier décédé en 2016 retrace son parcours en mode romance, en y égrenant quelques recettes.
L’incompréhension, le chagrin, la douleur, la sidération. Les mêmes mots revenaient sans cesse au lendemain de la mort de Benoît Violier, de la part de ses collaborateurs, amis ou clients, des journalistes qui le connaissaient bien, de son éditeur. Sa disparition évoquait celle de Bernard Loiseau, en 2003, à la différence près que ce dernier traversait alors des difficultés personnelles et financières, alors que le premier semblait au faîte de la gloire et de la réussite professionnelle. A 45 ans, tout le monde le voyait et le disait rayonnant. Et pourtant. Le 31 janvier 2016, Benoît se suicide avec son fusil de chasse dans la chambre à coucher de l’appartement familial, au-dessus du restaurant.
Sept ans plus tard, Brigitte Violier consacre un livre à son talentueux époux. Le mystère de sa mort demeure entier, elle ne cherche pas à le dissiper, se bornant à raconter l’histoire de l’homme aimé, de leur couple, quelques fragments de son parcours professionnel et privé. Qui est-il?
Né à Montils en Charente-Maritime, Benoît grandit dans une famille de viticulteurs, d’ostréiculteurs et de chasseurs, se passionnant pour la nature, la chasse, la pêche. Et bientôt la cuisine. Formé chez Joël Robuchon, entre autres adresses de haut vol, Benoît est aussi une vraie «bête de concours», et, après des années dans l’ombre de ses deux grands devanciers du Restaurant de l’Hôtel de Ville de Crissier, Frédy Girardet et Philippe Rochat, il en reprend la direction, bientôt secondé par Brigitte. Celle-ci a grandi entre Gruissan, village proche de Narbonne, où ses parents reprennent une crêperie-pizzeria, et Courchevel pour les saisons d’hiver, où elle s’adonne au ski. Son père rêve de la voir intégrer l’Ecole hôtelière mais elle échoue deux fois au con-cours et avoue ne pas apprécier alors «le service, la rigueur et la discipline quasi militaire de cet univers». Elle fera donc un diplôme d’esthéticienne et le hasard la place sur le chemin de son futur mari à Courchevel: il y fait une saison, en attendant d’intégrer la brigade de Crissier; elle est conseillère beauté dans la pharmacie de la station.
Il repart, revient, ne l’a pas oubliée. Lors d’un premier déjeuner en tête-à-tête, le 1er janvier 1997, Benoît lui raconte à grands traits sa vie, son parcours professionnel, déjà brillant. Au Jamin chez Joël Robuchon, mais aussi à la Tour d’Argent, au Ritz, à l’Intercontinental à Paris, ses années au ministère des Finances au service des Sarkozy et la manière dont Cécilia veillait à l’élaboration de tous les menus, le jour où il se trouve avec François Mitterrand dans l’ascenseur, son tour en tant que Compagnons du Tour de France des Devoirs Unis et son objectif de conquérir le titre de Meilleur Ouvrier de France en 2000, qui allait faire de lui un des plus jeunes chefs MOF à 29 ans.
Ils s’aiment, elle le rejoint en Suisse en 1999 et trouve bientôt un travail pour une grande marque de cosmétiques; il est le bras droit de Philippe Rochat, portant une part grandissante des responsabilités et de la création des cartes, particulièrement au moment de la mort en montagne de Franziska, l’épouse de Philippe. Devenus parents en 2003, mariés, Benoît et Brigitte font des projets, repoussant une offre alléchante du côté de Bordeaux en vue de reprendre à terme les clés que leur confiera Philippe Rochat. Elle s’efforcera dès lors de se faire sa place dans son univers, de l’épauler et de l’attendre, alors que l’ambition et le succès rendent ses journées interminables, qu’il marche à l’adrénaline, ne s’arrête jamais, passe ses vacances à chasser avec des amis, consacre ses rares congés à son nouveau livre sur le gibier, tandis que Brigitte et son fils partent se reposer en famille au bord de la mer.
Jusqu’à ce dimanche tragique, où Benoît est attendu à Paris pour présider un jury; le chauffeur qui doit l’emmener ne le verra jamais et appelle Brigitte. «Dans notre chambre, je le découvre étendu au sol. Je suis en état de choc. […] On s’occupe des obsèques. Le restaurant est devenu un mausolée. Bougies et fleurs partout. Je ne veux pas les voir. Il y aura plus de mille cinq cent personnes à la cathédrale de Lausanne.»
Le restaurant rouvrira peu après, codirigé par Brigitte Violier et Franck Giovannini en cuisine – lequel n’est pas mentionné une seule fois dans tout le livre. Deux ans plus tard, en août 2018, les investisseurs décideront de confier la barre au seul Giovannini, évinçant la veuve de Benoît. Reste le grand mystère de cette disparition: là encore, Brigitte Violier redit son incompréhension, cet abysse de stupeur et de douleur dans lequel l’a plongé l’acte désespéré de son mari. Et lui rend hommage à travers quelques recettes rappelant sa précision absolue, ses compositions limpides.
(Véronique Zbinden)
«Benoît Violier. Du cœur aux étoiles», Paris, Glénat Editions (Coll. Le Verre et l’Assiette), 172 pages. ISBN 978-2-344-05883-1