L’explosion de la mixologie dessine un arc-en-ciel de couleurs, textures, arômes et pairings inédits, avec ou sans alcool, dans les verres.
Les kombuchas sont une des grandes tendances du moment, lance Diane Blanch, directrice du restaurant d’Anne-Sophie Pic à Lausanne, et récente lauréate du Trophée du Maître d’Hôtel: on peut en préparer soi-même facilement et la Suisse a désormais une vraie culture de ces boissons, avec des start-up comme Urban Kombucha et une offre très vaste dans la grande distribution. Kombuchas à base de thés ou de tisanes, mais aussi kéfirs issus de lait ou de fruits (aussi nommé tibicos dans ce cas), légèrement gazeux, dotés de multiples vertus pour la santé et le système immunitaire, appartiennent à la grande famille des boissons fermentées. On peut y ajouter la plus ancienne de toutes, vieille comme l’humanité, l’hydromel (ou tedj éthiopien) et le boza originaire des Balkans: issu de céréales fermentées et plus épais, ce dernier se consomme aussi au petit-déjeuner. Voire la ginger beer, dont la fabrication est proche de celle du kéfir, et qui a envahi les rayons et les bars ces dernières années.
Voilà pour les bases. A partir de là, on composera avec toutes sortes de mocktails et cocktails, ou d’autres idées bien givrées pour imaginer les jus modeux du moment: le frozé (pour frozen rosé) est un cocktail glacé avec une part variable de rosé, qui a vu le jour dans les bars new-yorkais et promet d’inonder l’Europe cet été. Dans le même registre ultrafrais, les slushies – référence à slush, la neige fondue, ou barbotine, au Canada – font figure d’hybrides entre granités et cocktails, ou entre smoothie et sangria, en version glacée. Le principe? Ajouter des fruits congelés (cubes de melon, pastèque, fraises) à du vin, voire pour les plus culottés à congeler au préalable du blanc ou du rosé dans des bacs à glaçons. Et mixer avec des fruits frais. Les frozen cocktails, entre granités et cocktails, sont très agréables quand la température s’élève et font aussi rêver d’exotisme, note Diane Blanch, évoquant les daiquiris et mojitos appréciés à Cuba, déclinables avec ou sans alcool.
De nouveaux accessoires et techniques ont surgi ces dernières années, contribuant à la vogue de la mixologie: les bars et restaurants les plus innovants ont tous investi dans l’achat d’un rotovap (pour rotary evaporator). Cet engin de laboratoire ultrasophistiqué permet de réaliser des extractions très pures, à basse température et sans ajout d’alcool: une manière d’alambic amélioré qui retient la quintessence des arômes de fruits, herbes et autres ingrédients, utile aussi bien en cuisine qu’en sommellerie.
Autre tendance dans les restos étoilés, les clarifications. Le principe? Faire cailler du lait entier avec un élément acide, tel le verjus ou un agrume; on laisse reposer pour que la boisson s’imprègne de l’arôme retenu, puis on filtre et on sert frais. Diane Blanch évoque la clarification au parfum de mélilot qui accompagne ces jours les berlingots au gruyère de la cheffe: un jus couleur jaune doré, plus sirupeux qu’un soda et qui ajoute au plat un côté rond et lactique.
Aussi très prisées, les boissons aux origines précolombiennes, plus ou moins revisitées. Le tepache des Aztèques se prépare en faisant fermenter des écorces d’ananas, de la cannelle et de la cassonade, alors qu’on a vu revenir sur le devant de la scène la chicha morada tirée du maïs violet, à la faveur du succès de la cuisine péruvienne. Autre boisson étonnante provenant d’Amérique latine, celle issue du mucilage de cacao. Le Suisse Felchlin comme le Français Valrhona proposent depuis peu des jus cacaotés délicieusement rafraîchissants aux notes florales évoquant le litchi, à servir frappés ou sous forme de granité.
Le thé est aussi une source d’inspiration infinie, comme base des kombuchas ou réinventé sous forme de sparkling tea, le breuvage pétillant décliné par un sommelier danois multirécompensé et qui remplace avantageusement le champagne – alcool en moins. Anne-Sophie Pic et ses équipes déclinent leurs propres thés en une gamme de cocktails/mocktails: le genmaicha collins à base du genmaicha à la fève tonka de la cheffe est ici rehaussé d’un sirop de sencha, peu sucré, visant à souligner et accompagner les mets, plutôt qu’à les éclipser. Elle aime jouer sur l’amertume et propose aussi ces jours un nogroni (variante non alcoolisée du negroni) revisitant l’infusion de camomille pour escorter la pêche du lac et ses accords de capucine, tagète, coulis de courgette.
(Véronique Zbinden)
On en a rarement goûté d’intéressants ces dernières années, et, selon Diane Blanch, «le problème est qu’en enlevant l’alcool, on enlève le plus souvent aussi la trame aromatique». Mais de nouveaux procédés sont apparus: le domaine allemand Leitz travaille des rieslings et pétillants sans alcool, par évaporation sous vide étonnants. Plusieurs marques nouvelles ont aussi émergé, qui développent le marché des vrais/faux spiritueux: Seedlip, Lyre’s ou JNPR proposent des distillats et infusions intéressants à base d’herbes, fruits, agrumes et épices, notamment, pour servir de base à des mocktails innombrables et innovants.