A Bulle, on trouvait au milieu de mille saveurs de belles expressions du vignoble romand. Mais aussi des boissons déjouant les codes.
Jusqu’à dimanche, 300 exposants ont présenté quelque 6500 produits régionaux, nationaux et internationaux lors de la 24e édition du Salon des Goûts et Terroirs, à Bulle (voir page 3). Une sorte de cabinet de curiosités culinaires et un dédale de saveurs, où tourne sur un axe un jambon de la borne et frétille dans un plat à trous des escargots fribourgeois de Cormondes. Les vignerons y figurent en bonne place. On hume les arômes du vin malgré la profusion d’autres fumets. On tombe aussi sur d’autres boissons innovantes.
On peut dénicher néanmoins des vins classiques, élégants, comme ce chasselas Le Rosey 2023 de la Côte, vieilles vignes (âgées de 60 ans), avec cette belle trame minérale, une aromatique plus fruitée que d’habitude, avec des notes de citron et de mangue. Le vigneron suggère de l’accompagner avec un fromage à pâte dure. Même conseil du côté de chez Schmutz pour un viognier, cépage rare dans le Vully, avec une entrée de bouche ressemblant à des raisins secs, puis des arômes poivrés et un joli final sur l’acidité. Le viognier de la Cave de la Planta 2023, à Dardagny, vendangé très mûr et vinifié 13 mois en barriques neuves, propose une bouche de yuzu et de pamplemousse. Il s’accorderait facilement à des rillettes de poissons nobles, fumées et zestées proposées par un autre exposant, le terroir du Léman. Certains présentent des vins étonnants dans leur assortiment, comme ce deuxième millésime nature dornfelder 2023, au domaine de Chantegrive. Alain Rolaz s’en amuse: «Mon fils Julien tenait à réaliser un vin sans sulfite ajouté, je n’y croyais pas trop. Mais je l’aime bien. On n’en produit que 400 bouteilles.» Il propose une bouche d’orange amère prélude à un final plus proche d’un chocolat noir.
Ailleurs, un personnage atypique nous attire: Didier Cornut porte un diadème avec une plume sur la tête. Cela représente ses vins Swan, au goût iconoclaste, tout en illustrant la grande expérience du vigneron dans le monde du vin. Avec Symbiose 2021, il accepte de dérouter, avec une altesse élevée pendant cinq mois dans une barrique d’armagnac, et cela délivre d’étranges arômes de nougat et de caramel. Lorsqu’une pâtissière qui travaille pour Pistor dialogue avec lui, il lui parle de son envie de vinifier du jus de koa, la pulpe de cabosse de cacao. Didier Cornut nous donne envie de goûter des produits différents. Comme la Vigneuvoise du domaine Bertholet, du jus de raisin légèrement gazéifié, qui propose un jus très rond, sans alcool. Mais aussi une boisson légère et désaltérante dans sa version avec 7,3 % d’alcool. Encore plus original, ce Pulp Fusion, chez Les Pères Fruit’art, qui mélange chasselas et jus de pomme dans un joyeux et équilibré breuvage légèrement pétillant.
Après toutes ces expérimentations, on a envie de revenir à des caves valaisannes qualitatives et classiques. Chez Serge Roh, on découvre une humagne blanche 2023 élevée sur lies pendant deux à trois mois, ce qui préserve sa fraîcheur immédiate et laisse apparaître des arômes de pêche blanche et de fleur d’oranger. Sarah Besse nous fait découvrir une malvoisie sur souches 2018. Un vin complexe aux riches arômes de coing et d’abricot séché, qu’elle conseille malicieusement d’accorder avec une simple tarte aux pommes. Dernière étape vigneronne au domaine des Sentes, chez Serge Heymoz, où la valse aux arômes s’enclenche: du sureau sur un muscat ottonel, comme une eau de citron sur une petite arvine, et même du kaki sur une heida. Là s’arrête la ronde du vignoble.
On termine par une petiote de la brasserie du Dzô, première mousse certifiée Fribourg Région, avec du houx blond, de l’orge et du malt produits localement. On apprécie sa franche amertume fruitée. Et on craque encore sur un pâté de chevreuil truffé de la boucherie Blanc de Châtel Saint-Denis, qui reste longtemps sur le palais. Les goûts romands se portent bien.
(Alexandre Caldara)