L’événement a fait le plein de curieux à Genève, signe de l’intérêt croissant pour les traditions du continent noir.
Les villes suisses sont de longue date familières des adresses éthiopiennes, voire érythréennes, et de la convivialité de l’injeera. Plus récemment, de nouvelles adresses évoquant d’autres traditions ont surgi: le sénégalais Palmarin ou le camerounais Bois d’Ebène, L’Awalé ou le Zanzibar et leurs racines d’Afrique de l’Est à Genève. Voire les restos et bars d’inspiration congolaise, de Chez Tonton Math à Biso na Biso, à Lausanne. Même si la pandémie a stoppé beaucoup d’élans, de nombreuses enseignes ont trouvé leur place, sans viser le haut de la gastronomie mais plutôt une convivialité joyeuse et populaire.
C’est dans ce contexte que s’est tenu en juin Afrik Festifood, un événement organisé dans le cadre de Genève Ville du Goût à l’espace MA-Terre, et qui emprunte son titre au festival créé l’an dernier par Angèle Monteleone, dont la deuxième édition aura lieu en 2022. Aux côtés des Genevois d’adoption Safiou Sirou et Yofina, plusieurs chefs dont Mustapha Scott proposaient des ateliers de pâtisserie pour les enfants, lunchs et master class végétariens ou sans gluten, brunchs et autres conférences. Victoire Gouloubi et Ahlem Ngulli, venues l’une d’Italie et l’autre de Paris, tenaient la vedette, la première révélée par sa troisième place à Top Chef Italie, la seconde avec son cursus étonnant d’avocate reconvertie par passion. «L’idée est d’aller au-delà des préjugés et de donner à voir le répertoire végétal et végane quasi illimité des cuisines africaines, ainsi que leur potentiel pour les personnes allergiques ou intolérantes», explique en substance Angèle Monteleone. Le succès de l’événement, dont l’objectif était de combiner produits genevois et spécialités africaines, témoigne de l’intérêt croissant pour les traditions et les produits du continent noir.
Gnocchi de patate douce, nems de banane plantain, brochette de bœuf mariné aux épices, samosas, taboulé de fonio et d’attiéké, cromesquis de manioc ou encore gaspacho de fruits exotiques. A boire là-dessus? Des jus de bissap ou de gingembre, du rhum «arrangé» additionné de mangue, d’ananas ou de coco. Des desserts fruités eux aussi ou, sur les rayons qui remplacent le marché une pincée de poudre de baobab ou un soupçon de moringa, dont les feuilles font figure de superfood. Ce long buffet fusionnant produits locaux et recettes exotiques s’offrait aux visiteurs lors de l’ouverture en juin d’Afrik Festifood.
Parmi les participantes à l’événement, Yofina et Valérie Helfer. Neuchâteloise d’origine camerounaise, la première, passée par Glion, adore marier ses recettes familiales et traditionnelles à des produits locaux, de saison. De son côté, la seconde, une Nyonnaise active elle aussi dans l’organisation du festival, avait envie d’en apprendre plus sur cette culture et de la faire découvrir à son fils né d’un père camerounais. «La diaspora recherche ses racines et trop peu d’événements rendent hommage aux cuisines africaines», souligne-t-elle.
Directeur de Kemet Development, association panafricaine active dans l’agro-écologie et les partenariats Nord-Sud, Johnson Mubarak souhaite augmenter la visibilité des cultures africaines et les retombées pour les économies locales. «Nous nous focalisons sur l’envie actuelle de manger sain, avec tous ces produits incroyables pour montrer le versant dynamique de l’Afrique.» Yofina confirme que les grands distributeurs, à commencer par Migros et Manor, ont élargi leur offre à de nombreux ingrédients d’origine africaine et s’y intéressent de plus en plus, faisant concurrence aux acteurs historiques tels Afripex, importateur et grossiste aux Pâquis.
Certains ingrédients africains présentent un intérêt particulier pour les allergiques et les intolérants, que l’on songe au manioc (la farine de tapioca est dépourvue de gluten), au fonio, à l’attiaké ou au souchet. Inconnus jusqu’à peu, ils ouvrent des horizons nouveaux, des saveurs originales pour remplacer certaines céréales, épaissir une sauce et en boulangerie-pâtisserie. Mafé, Yassa et gombo: avec ce titre inspiré de trois produits phares des cuisines d’Afrique subsaharienne, le chef camerounais Alexandre Bella Ola entend lui aussi partager sa passion pour les goûts d’Afrique.
Loin du continent souvent, des étoiles montantes comme Mory Sacko (ex-Top Chef, désormais étoilé avec Mosuke installé à Paris et depuis peu à Lyon) ou Pierre Thiam à New York ont aussi contribué à mettre en lumière le continent noir et ses produits étonnants. C’est aussi le cas de la série Netflix consacrée à la Soul Food et aux racines africaines de la cuisine afro-américaine. High on the Hog (titre traduit par La part du Lion) nous entraîne du marché de Cotonou, au Bénin – ancienne plaque tournante de la traite d’êtres humains – aux Etats du Deep South en une véritable quête identitaire. L’historienne et autrice afro-américaine Jessica B. Harris et le producteur et journaliste Stephen Satterfield tentent de comprendre comment leurs ancêtres d’avant l’esclavage ont changé l’Amérique, comment le savoir-faire et les traditions des Africains ont façonné et fait la richesse de Charleston, entre autres. Où la riziculture s’est effondrée avec l’abolition de l’esclavage.
(Véronique Zbinden)