Pour le travail d’approfondissement personnel qui a ponctué sa formation initiale, la cuisinière vaudoise s’est intéressée à la question des femmes en cuisine. Avec à la clé quelques surprises.
Emilie Gilliéron, vous venez de décrocher votre CFC de cuisinière, et, dans le cadre de votre travail d’approfondissement personnel (TPA), vous avez traité la question des femmes en cuisine. Pourquoi?
C’est lié à l’expérience que j’ai faite lors de mon stage dans le secteur de la gastronomie pendant mon apprentissage. Je me suis retrouvée la seule femme au milieu d’une brigade exclusivement masculine, et, à chaque fois que le patron s’absentait, j’ai été confrontée au sexisme et au machisme de l’équipe.
De quelle manière?
On ne m’apprenait rien, et, les seules fois où l’on s’adressait à moi, c’était pour me faire des remarques désagréables au sujet de ce que je ne savais pas faire, le tout sur un ton moqueur et méprisant.
Comment avez-vous réagi?
Je me suis plainte auprès du patron, mais c’est là que j’ai réalisé que mes collègues avaient pris les devants. Ils étaient allés lui dire qu’en son absence ils m’avaient certes un peu embêtée mais que leur comportement n’avait en fin de compte pas été bien méchant.
Est-ce comme cela que vous avez vécu la situation?
Pas vraiment. C’est comme quand on est victime de mauvaises farces à l’école, ça fait mal. J’ai aussi été choquée de constater qu’en 2021 on en est encore là, et que les femmes subissent encore pareilles moqueries. Bref, il y a encore des progrès à faire, d’où ce TPA sur la place des femmes en cuisine.
Des apprenties de votre connaisance ont-elles subi le même traitement?
Non, pas à ma connaissance, ce qui est a priori plutôt encourageant. A titre personnel, je me dois aussi de préciser que ma formation initiale chez le traiteur La Chenille Gourmande, à Oron-la-Ville (VD), au sein duquel il y avait quatre femmes et six hommes, s’est très bien passé, notamment grâce à ma formatrice, qui est pour moi un modèle.
Qu’est-ce qui vous a le plus étonnée pendant que vous planchiez sur votre TPA?
D’abord, une série de chiffres qui parlent d’eux-mêmes: dans le monde, 93 % des femmes cuisinent pour leur famille, mais il y a seulement 25 % de cuisinières professionnelles et 10 % dans le secteur de la gastronomie. Ensuite, le fait que Paul Bocuse ait été formé par une femme, en l’occurrence Eugénie Brazier, qui a aussi été la première à décrocher trois étoiles. Enfin, le peu de visibilité accordée aux femmes cheffes par les guides.
C’est-à-dire?
D’une part, elles sont moins nombreuses à être distinguées, et, d’autre part, elles ne sont pas forcément mises en avant. Quand j’ai cherché les cheffes étoilées sur le site du Guide Michelin Suisse, ma requête en ligne n’a abouti à rien. Et lorsque je me suis adressée à eux pour obtenir des informations à ce sujet, personne n’a daigné répondre à mes sollicitations.
D’aucuns invoquent parfois l’argument de la pénibilité du métier pour expliquer la relative absence des femmes dans les brigades. Votre avis?
Chaque métier est pénible à sa manière et ce n’est quand même pas comme si on construisait des maisons! Plus sérieusement, je dirais que les femmes prouvent chaque jour qu’elles savent gérer le stress aussi bien que leurs confrères et qu’elles ont leur place en cuisine.
Des suggestions pour que la situation s’améliore?
A mon avis, on devrait davantage laisser les femmes exercer leur créativité et les encourager à persévérer. Et pour ce qui est des concours, plutôt que de créer des événements seulement dédiés aux cuisinières, il faudrait songer à intégrer dans le jury plus de femmes cheffes.
Où vous voyez-vous dans cinq ou dix ans?
J’aimerais être cheffe, pourquoi pas à la tête de mon propre établissement. Mais je me demande si cela est possible, eu égard aux difficultés que rencontrent toutes celles qui veulent faire carrière. Pour l’heure, je vais entamer à la rentrée prochaine un second apprentissage de pâtissière-confiseuse.
(Propos recueillis par Patrick Claudet)