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Gérard Rabaey «Je vis très mal la situation»

Le départ précipité des Décotterd du Pont de Brent menace la pérennité de la maison que les Rabaey ont mis 30 ans à bâtir. L’ancien chef 3 étoiles évoque les options que son épouse et lui examinent pour l’avenir.

Gérard Rabaey dans sa cuisine du Pont de Brent en 2010. (Keystone-ATS)

Après que Sommet Education a annoncé le 22 juillet la venue des Décotterd au Bellevue, vous avez tenu à clarifier certains points. Pourquoi avoir attendu quelques jours pour le faire?
Je ne voulais pas réagir à vif. La veille de l’annonce, alors que nous avions réglé le volet administratif mais que la suite de son aventure professionnelle restait floue, le couple m’a dit qu’il partait à Glion. Mais quand j’ai pris connaissance du communiqué de presse le lendemain – en même temps que tout le monde à vrai dire –, ça a été le coup de massue. J’étais au col de Jaman, en plein tour à vélo, et j’ai été totalement sidéré.

Pour quelle raison?
C’est le ton de la communication qui m’a laissé pantois. En gros, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, alors qu’au moment de négocier la fin du bail le couple avait évoqué la situation financière particulièrement difficile dans laquelle l’établissement se trouvait.

Ne faut-il pas y voir l’effet de la pandémie, qui a durement touché la restauration?
La crise que nous vivons n’a rien d’anodin, bien sûr. Mais nous avons spontanément suspendu sept mois de loyer commercial et répété que nous étions prêts à les soutenir. De notre temps, c’était une maison très saine et notre souci principal, ces derniers temps, était d’éviter toute déconvenue.

«J’aurais préféré une transition en douceur»


Quid de la volonté revendiquée de moderniser l’outil de production et d’élargir l’offre (cf. HGH n° 18-19/2021)?
Il y a trois ans environ, nous avons lancé des travaux pour un montant de 265 000 francs, que nous avons financés nous-mêmes. Parallèlement, et à la demande du couple, nous avons prolongé le bail jusqu’en 2036. Ceci explique que, même si le loyer commercial est payé jusqu’à fin 2021, nous nous retrouvons, mon épouse et moi, dans une situation inconfortable. A titre personnel, je le vis très mal.

Reprochez-vous aux Décotterd d’avoir voulu changer d’air après dix ans?
Le problème ne se pose pas en ces termes. Dans ma vie privée et professionnelle, j’ai toujours tout anticipé, quitte à me priver du bonheur de l’instant présent. C’est pour cette raison que nous avons pu transmettre Le Pont de Brent dans les meilleures conditions et assurer ainsi sa pérennité. Mon plus grand regret est de n’avoir pas eu le temps de chercher un repreneur, j’aurais préféré une transition en douceur. La conséquence, mal vécue par ma femme et moi qui avons tout donné pendant 30 ans pour élever cette maison au rang de référence gastronomique, c’est que le restaurant est fermé pour la première fois depuis 1980.

Avez-vous l’impression que votre héritage est en quelque sorte dilapidé?
Je suis lucide et je sais bien que nous ne sommes tous que de passage. Mais, partis de rien, nous avons réussi à décrocher la note de 19/20 en 1988, puis 3 étoiles en 1997, que nous avons gardées jusqu’à notre départ en 2010. Alors oui, je trouve que la précipitation avec laquelle l’affaire a été conclue est un peu dommage.

Quel avenir voyez-vous pour Le Pont de Brent?
Aujourd’hui, nous cherchons à vendre. La maison, qui comprend le restaurant et un appartement, a été expertisée et nous avons entrepris un certain nombre de démarches. Si j’étais plus jeune, je reprendrais du service et je serais prêt à relever le défi de décrocher de nouveau 3 étoiles.

Qui verriez-vous à la barre?
Un jeune chef ou une jeune cheffe qui aurait déjà un peu de bouteille. Plus important encore: quelqu’un qui serait soutenu-e par un mécène qui rachèterait le tout.

Votre regard sur l’avenir de la gastronomie?
Hormis Crissier, qui est de classe mondiale, il y a peu de place en Suisse romande pour un restaurant gastronomique proposant un ticket moyen entre 300 et 400 francs. Ce qu’il faut, quand on est chef, c’est travailler beaucoup et en équipe réduite, pour limiter les coûts. Les menus, eux, doivent compter moins de plats, car plus personne ne peut rester quatre heures à table. L’idée, c’est d’inciter les gens à venir spontanément plus souvent.

(Propos recueillis par Patrick Claudet)