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Le bonheur des réinventions

On a découvert Nicolas Darnauguilhem à Bruxelles, on l’a adoré à Genève. Le revoici en Gruyère, en quête de beauté et de nature, où il propose une cuisine sincère et engagée.

  • La montagne a toujours été pour le chef genevois une source d’inspiration, l’univers où enraciner sa cuisine. (Federal Studio)
  • Après Genève, Nicolas Darnauguilhem a songé à transformer une grande maison du Jura en chambres d’hôtes et lieu de retraite.

C’est sans doute l’une des meilleures nouvelles de cette année singulière. Retrouver les nourritures alpestres du chef du Neptüne, du Tablar et de Tabouret, Nicolas Darnauguilhem, dans un des plus beaux paysages de Suisse, l’adresse mythique où officia longtemps Judith Bauman. «J’ai adoré cet endroit dès ma première visite, à l’époque de Virginie Tinembart, j’y suis revenu plusieurs fois. C’était évidemment le lieu rêvé où se réinventer après Genève, la pandémie et les projets enterrés.»

Transparence et fluidité

Côté décor, pas grand-chose à changer dans les deux salles tout en bois, juste quelques bricoles, un nappage, l’ajout d’un vrai four à pain, la vaisselle à laquelle il a travaillé avec un céramiste genevois. En plus des herbettes que cultivait déjà Romain Paillereau, qui vient de quitter les lieux, on peut aussi signaler la mise en place d’un vrai jardin. Sans oublier le grand terrain sous la terrasse où le chef verrait bien, à terme, quelques moutons, trois poules et un cochon.

Son équipe de cuisine, elle, est déjà opérationnelle – ils sont cinq, plongeur et chef compris. Pour la salle, c’est un peu plus compliqué, ça l’a toujours été, là-haut, à l’écart des centres urbains. «On a commencé par enlever un bout de cloison et on va vraiment abolir la frontière entre salle et cuisine.» Plus de transparence et de fluidité, des fenêtres plus ouvertes que jamais sur le décor environnant, sa beauté foisonnante, ivre de vert tendre et de sommets vertigineux.

Cuisine généreuse et légumière

Que cuisine-t-on ici, sur les traces de Judith Baumann, Virginie Tinembart, Romain Paillereau? Une cuisine sincère, fidèle à son environnement et à la gourmandise de la Gruyère. Une cuisine qui ressemble à son décor, généreuse et légumière, colorée, aux saveurs limpides. Qui traduit cette lumière extraordinaire dans ses plats. «La cuisine est finalement le meilleur lieu où défendre des idéaux, notamment environnementaux. C’est ce que j’ai compris pendant mon école hôtelière», souligne le chef genevois.

«La cuisine est le meilleur lieu où défendre des idéaux»


Né à Genève, Nicolas Darnauguilhem a grandi en Haute-Savoie. Sa vocation gourmande se noue dès l’enfance, avec un jardin bio dans l’Ain où son grand-père d’origine italienne, ornithologue amateur, fait ses semences et son propre pain, une ferme landaise du côté des grands-parents paternels; d’un côté, les quenelles de brochet et le pâté creusois, de l’autre, les canards et les asperges, le goût des légumes et des petits fruits croqués sitôt cueillis.

Après le lycée hôtelier, Nicolas commence par un complément de formation en pâtisserie, qu’il mettra en pratique à la Ferme de l’Hôpital, à Bossey, à deux pas de la frontière. Des voyages lointains et formateurs suivent, d’Amérique centrale au Vietnam notamment: «L’Asie a beaucoup forgé ma cuisine.» Il fait aussi des stages durant son cursus à l’Ecole hôtelière de Genève, se découvre une authentique passion pour le vin, qui l’amène à explorer les vignobles de plusieurs régions et qu’il approfondira au bar à vins le Marius, à Genève. Il tiendra ensuite un petit resto végétarien, aux Grottes, s’initiant à la cueillette urbaine, découvrant la berce et la flouve à l’heure où Veyrat devient une star. Nicolas travaille aussi avec Laurence Salomon, à Annecy, naturopathe reconvertie à la cuisine santé et au végétarisme.

Une écriture contemporaine

Départ pour Bruxelles en 2010, où il commence par dresser une table d’hôtes improvisée et vaguement clandestine en sous-sol, où l’on célèbre la nature et le culte des vins nature. Ce sera l’époque du premier Neptune, qui éveille très vite l’intérêt des Foodies et des défricheurs de la jeune Cuisine, l’enthousiasme des critiques du Fooding et d’Omnivore.

Retour à la case Genève en 2015, avec de nouvelles envies. Nico trouve un local un peu défraîchi proche de l’Usine, qu’il réinvente de pied en cap. Et voici son Neptüne bis – avec un tréma, cette fois et en exergue, la promesse déjà de «nourritures alpestres». Il a eu le temps de mûrir, se poser, trouver sa voie et sa patte: une écriture résolument contemporaine, cousine de certains chefs scandinaves ou parisiens, du Relae de Christian Puglisi, à Copenhague, au Septime de Bertrand Grébaut, à Paris. Une expérience audacieuse et novatrice au bout du lac, qui ne rencontre pas complètement le succès promis par l’aventure bruxelloise. Nicolas Darnauguilhem s’est un peu brûlé les ailes à Genève, il l’admet, il a eu sans doute raison trop tôt, dans une des villes les plus conservatrices qui soient: «Peu importe, j’ai appris à m’adapter.» Les deux arcades du défunt Neptüne se transformeront successivement en Tabouret, puis en Tablar, où l’on pratique une restauration plus accessible et colorée. Avant le départ à la montagne, source essentielle d’inspiration pour le chef genevois, et lieu idéal pour enraciner sa cuisine.

(Véronique Zbinden)


Davantage d’informations:

www.lapintedesmossettes.ch